mercredi 9 janvier 2019

Une belle évocation de la femme... (Hommage)

" Ce qu'il y a de primitif dans la femme ne fait guère surface en présence des mâles. Préliminaires auxquels s'adonnent les femmes seules. Promenades lunatiques, aller-retour. On transfère des slips de place en place. On détaille un à un ses bas en quête de mailles filées. On s'absorbe dans la glace, chemin du nirvana. L'autre, dans le miroir, vous hypnotise. On s'approche  de la glace, s'en éloigne. Mouvements compassés, relevant du cérémonial. On se lisses les sourcils, les cils. Ébauche un geste en direction de la chevelure. Et, de nouveau, inertie. S'il y en a une qui vous parle, c'est un "oui, oui" ou un "non, non" absent. Comme si on allait tourner de l'oeil. Avec lenteur, avec componction, on enfile une paire de culottes, la toute neuve, celle qui est destinée à. On essaie un soutien-gorge, au autre. On en change, nerveusement. Pas celui-ci, celui-là !
  Se regardent pour voir de quoi elles ont l'air par-derrière, par-devant. A chacune sa manière de tortiller de la croupe. On s'exerce. De quoi aura-t-on l'air en dansant. On éprouve, on essaie les mille et une poses de la soirée. Tour à tour, on est ravie, dépitée, fâchée. Faire très attention : de quoi auront alors l'air votre poitrine, vos jambes, vos dents, votre ventre. Certaines se mettent à mimer des scènes entières : le bonjour, les adieux, le regard qu'on glisse à travers cils, le coup d'oeil dans la vitre sans se retourner, quelques pas sur le parquet sans avoir l'air de rien.
  Puis, à demi habillées, elles s'attardent encore devant leur miroir : se faire le visage pour ce soir. On se met du rouge en se léchant les lèvres, on se retrousse les cils, certaines y vont d'une goutte d'atropine. On s'efforce de corriger ce qui, semble-t-il, ne saurait l'être. Au menton, on s'arrache des poils imaginaires, tel un coiffeur se prodiguant en gestes superflus autour de la tête du client. Touche ultime de brosse aux sourcils, il y en a qui ajoutent du khôl. Elles ont quelque chose du chirurgien qui se recueille pour l'opération, du prêtre avant le sacrifice rituel. Concentrée, l'attention lunatique atteint son apogée. Ici, là, encore quelques gouttes de parfum. Subitement, c'est la précipitation : on a vu l'heure. "

Leo Lipski, Piotrus, 1960, p.54-56, traduit du polonais par Allan Kosko, Editions L'Arbre vengeur.
Leo Lipski

7 commentaires:

  1. Le reste du livre est du même tonneau ?

    Cela me rappelle une anecdote qui est vraiment arrivée à Marivaux (je ne sais plus où je l'ai lu cependant) : encore jeune adolescent, il était fou amoureux d'une jeune fille, et lui trouvait mille détails charmants : sa façon de marcher, de le regarder, d'incliner son visage etc. L'ayant quitté un jour, il retourne inopinément chez elle pour récupérer un objet oublié et la surprend devant un miroir, où il voit que tout ce qu'il trouvait charmant chez elle était loin d'être "naturel" (comme il le pensait), mais soigneusement étudié et répété par cette jeune fille. Il racontait que c'est cet épisode qui lui a réellement ouvert les yeux sur la femme.
    Certes l'auteur m'ennuie poliment dans ses pièces de théâtre, mais j'avais trouvé cette anecdote très intéressante...

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    1. y'a quelques passages sympas mais j'ai décroché sur la 2ième partie du livre. mais j'ai trouvé cet extrait superbe et la dernière phrase tellement bien trouvée!

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  2. Décroché au sens d'"abandonné" ? Ou "lu avec ennui" ?
    Il y a tellement de livres avec lesquels tu as décroché/abandonné en cours de lecture qu'on pourrait en faire une amusante anthologie :D
    Cela m'arrive très rarement, le seul l'an passé en ce qui me concerne était "La plainte de Portnoy" de Philip Roth. J'ai un mal fou avec cet auteur, je ne vois pas ce qu'il a de si extraordinaire (selon beaucoup de critiques)...

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    1. lu sans avoir tout compris... je le relirai...
      surement parce que je ne suis pas toujours concentré sur ce que je lis! ça arrive... c'est la vie... c'est pas très grave...
      et j'ai aimé "Portnoy et son complexe"!

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  3. et pour revenir sur l'extrait, ce n'est pas dans le sens de ton anecdote de Marivaux, c'est à voir comme un hommage à la Femme !!!

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  4. Je vais essayer de redonner sa chance au Roth cette année, c'est rare finalement les livres que tu parviens à finir et à aimer :D
    Tu fais bien de préciser, je voyais cela plutôt comme une critique non pas virulente mais amusée de la femme...

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    1. c'est juste 2018 une mauvaise année!
      d'où le titre : "Une belle évocation de la femme" :)

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