dimanche 27 janvier 2019

La plus "belle" agonie de la littérature...

Céline, le chat Bébert et Bessy
Le même mystère avec Bessy, ma chienne, plus tard, dans les bois au Danemark… elle foutait le camp… je l’appelais… vas-y !… elle entendait pas !… elle était en fugue… et c’est tout !… elle passait nous frôlait tout contre… dix fois !… vingt fois !… une flèche !… et à la charge autour des arbres !… si vite que vous lui voyiez plus les pattes ! bolide ! ce qu’elle pouvait de vitesse !… je pouvais l’appeler ! j’existais plus !… pourtant une chienne que j’adorais… et elle aussi… je crois qu’elle m’aimait… mais sa vie animale d’abord ! pendant deux… trois heures… je comptais plus… elle était en fugue, en furie dans le monde animal, à travers futaies, prairies, lapins, biches, canards… elle me revenait les pattes en sang, affectueuse… elle est morte ici à Meudon, Bessy, elle est enterrée là, tout contre, dans le jardin. je vois le tertre… elle a bien souffert pour mourir… je crois, d’un cancer… elle a voulu mourir que là, dehors… je lui tenais la tête… je l’ai embrassée jusqu’au bout… c’était vraiment la bête splendide… une joie de la regarder… une joie à vibrer… comme elle était belle !… pas un défaut… pelage, carrure, aplomb… oh, rien n’approche dans les Concours !…

C’est un fait, je pense toujours à elle, même là dans la fièvre… d’abord je peux me détacher de rien, ni d’un souvenir, ni d’une personne, à plus forte raison d’une chienne… je suis doué fidèle… fidèle, responsable… responsable de tout !… une vraie maladie… anti-jeanfoutre… le monde vous régale !… les animaux sont innocents, même les fugueurs comme Bessy… on les abats dans les meutes…

Je peux dire que je l’ai bien aimée, avec ses folles escapades, je l’aurais pas donnée pour tout l’or du monde… pas plus que Bébert, pourtant le pire hargneux greffe déchireur, un tigre !… mais bien affectueux, ses moments… et terriblement attaché ! j’ai vu à travers l’Allemagne… fidélité de fauve…

A Meudon, Bessy, je le voyais, regrettait le Danemark… rien à fuguer à Meudon !… pas une biche !… peut-être un lapin ?… peut-être !… je l’ai emmenée dans le bois de Saint-Cloud… qu’elle poulope un peu… elle a reniflé… zigzagué… elle est revenue presque tout de suite… deux minutes… rien à pister dans le bois de Saint-Cloud !… elle a continué la promenade avec nous, mais toute triste… c’était la chienne très robuste !… on l’avait eue très malheureuse, là-haut… vraiment la vie très atroce… des froids -25°… et sans niche !… pas pendant des jours… des mois !… des années !… la Baltique prise…

Tout d’un coup, avec nous, très bien !… on lui passait tout !… elle mangeait comme nous !… elle foutait le camp… elle revenait… jamais un reproche… pour ainsi dire dans nos assiettes elle mangeait… plus le monde nous a fait de misères plus il a fallu qu’on la gâte… elle a été !… mais elle a souffert pour mourir… je voulais pas du tout la piquer… lui faire même un petit peu de morphine… elle aurait eu peur de la seringue… je lui avais jamais fait peur… je l’ai eue, au plus mal, bien quinze jours… oh, elle se plaignait pas, mais je voyais… elle avait plus de force… elle couchait à côté de mon lit… un moment, le matin, elle a voulu aller dehors… je voulais l’allonger sur la paille… juste après l’aube… elle voulait pas comme je l’allongeais… elle a pas voulu… elle voulait être un autre endroit… du côté le plus froid de la maison et sur les cailloux… elle s’est allongée joliment… elle a commencé à râler… c’était la fin… on me l’avait dit, je le croyais pas… mais c’était vrai, elle était dans le sens du souvenir, d’où elle était venue, du Nord, du Danemark, le museau au nord, tourné nord… la chienne bien fidèle d’une façon, fidèle au bois où elle fuguait, Korsör, là-haut… fidèle aussi à la vie atroce… les bois de Meudon lui disaient rien… elle est morte sur deux… trois petits râles… oh, très discrets… sans du tout se plaindre… ainsi dire… et en position vraiment très belle, comme en plein élan, en fugue… mais sur le côté, abattue, finie… le nez vers ses forêts à fugue, là-haut d’où elle venait, où elle avait souffert… Dieu sait !…

Oh, j’ai vu bien des agonies… ici… là… partout… mais de loin pas des si belles, discrètes… fidèles… ce qui nuit dans l’agonie des hommes c’est le tralala… l’homme est toujours quand même en scène... le plus simple...
 
Louis-Ferdinand Céline, D'un château l'autre.

2 commentaires:

  1. Tu as lu tous les Céline il me semble non ?
    Sont-ils tous bons, ou est-ce que l'opinion commune selon laquelle ses romans ultérieurs sont nettement inférieurs au Voyage et à Mort à crédit, voire mauvais, est vraie ?
    Je serais curieux à ce propos d'avoir ton classement des romans céliniens.

    P-S : je dois dire que je trouve l'usage des points de suspension un peu intempestif, voire artificiel, bien que le style de Céline soit toujours là...

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    1. C’est surement les on-dit de l’intelligentsia littéraire française !… qui suggère aussi de s’arrêter au Voyage… voire même, pour certains, de ne pas le lire du tout !…
      Chez Céline, il y a toujours à boire et à manger… c’est toujours une expérience littéraire ; il y a toujours des pépites à découvrir même dans ses pamphlets ! (même si il faut faire le tri dans l’ordure !)
      Il faut peut-être être un célinien convaincu pour apprécier ses autres livres (à voir) mais de là à dire qu’ils sont mauvais, il ne faut pas exagérer non plus !!!!!
      Mais c’est clair que pour certains textes, il faut s’accrocher à son slip… c’est à lire par petite touche… (cf http://thebinarycoffee.blogspot.com/2017/11/feerie-pour-une-autre-fois-i-ii.html)
      Cependant après un livre de Céline, les AUTRES livres paraissent bien fades !

      Un classement de mémoire :
      D'un château l'autre
      Nord
      Guignol's Band 2
      Entretiens avec le professeur Y
      Féerie pour une autre fois 2
      Guignol's Band 1
      Féerie pour une autre fois 1
      Casse-pipe
      Rigodon!

      PS : Pour moi, les « … » ça donne de la respiration au texte…

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