vendredi 23 novembre 2018

Sur Verlaine...

Jules Renard
1892
9 mars.
Hier, dîner de La Plume. Rares, les figures intelligentes d'hommes intelligents. Des laideurs étudiées comme des têtes de cannes. L'effroyable Verlaine : un Socrate morne et un Diogène sali ; du chien et de l'hyène. Tout tremblant, se laisse tomber sur sa chaise qu'on a soin d'ajuster derrière lui. Oh ! ce rire du nez, un nez précis comme une trompe d'éléphant, des sourcils et du front !
A l'entrée de Verlaine, un monsieur, qui se prouva imbécile quelques instants plus tard, dit
- Gloire au génie ! Je ne le connais pas, mais gloire au génie !
Et il bat des mains.
L'avocat de La Plume s'écrie :
- La preuve qu'il a du génie, c'est qu'il s'en fout.
Puis on apporte un peu de charcuterie à Verlaine qui rumine.
Au café, on le tire avec des « Maître », « cher Maître » mais il est inquiet, et demande ce qu'on a fait de son chapeau. Il ressemble à un dieu ivrogne. Il ne reste de lui que notre culte. Sur une ruine d'habit - cravate jaune, pardessus qui doit être en plus d'un endroit collé à sa chair -, une tête en pierre de taille de démolition.
(...)

14 mars.
Est-ce que le fils de Verlaine ressemble à Rimbaud ?
Vallette raconte qu'étant tout petit, par excès de trouble, il essuyait ses pieds en sortant de chez les gens.
On demandait à Verlaine :
- Maître, par où avez-vous le plus péché ?
Il ne répondit pas, mais il leva l'index et le retourna la pointe en bas, dans une direction « parlante ».
- Il y a dans Verlaine, dit Schwob, un honnête homme, un citoyen, un patriote, qui croit à l'utilité de sa vie, dit : « Moi, j'ai donné de la gloire à la France », et voudrait être décoré.

Jules RenardJournal (1887-1910).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire