mardi 31 janvier 2017

La solitude qui attend...

Anton Tchékhov
" Quand nous regardons longuement le ciel immense, nos idées et notre âme se fondent dans la conscience de notre solitude. Nous nous sentons irréparablement seuls, et tout ce que nous tenions auparavant pour familier et cher s’éloigne indéfiniment et perd toute valeur. Les étoiles, qui nous regardent du haut du ciel depuis des milliers d’années, le ciel incompréhensible lui-même et la brume, indifférents à la brièveté de l’existence humaine, lorsqu’on reste en tête à tête avec eux et qu’on essaie d’en comprendre le sens, accablent l’âme de leur silence ; on se prend à songer à la solitude qui attend chacun de nous dans la tombe, et la vie nous apparaît dans son essence, désespérée, effrayante…"

Anton Tchékhov, La Steppe, p.104, Editions Gallimard/Folio, 1888.

dimanche 29 janvier 2017

Léon Bloy
"Le cimetière est un jardin où l’on vient apporter des fleurs une fois par an."
Léon Bloy.

Quel pauvre fatigué raté !

Klarskovgaard Le 7 mars 1949,


Louis-Ferdinand Céline, Lettres à Albert Paraz, 1947-1957, Nouvelle édition, p.161, ©Gallimard 2009.

samedi 28 janvier 2017

Hubert Selby Jr (1928-2004)

Hubert Selby Jr

Les électeurs...

Terriblement actuel...
Robert Giraud
« Bien que déformée par des maternités successives, si la ville a pris un embonpoint de douairière, son éternel amoureux ne lui reconnaît que sa taille de jeune fille. Ajustée une fois pour toutes, la ceinture du Paris d’aujourd’hui est une frontière toute symbolique qu’effleure maintenant sans s’en apercevoir la foule qui déferle des banlieues et des cités-dortoirs. […]» p.33

«[…] Pas toujours coquette ni bien mise, la rue est une femme qui se reconnaît à son parfum. […]» p.60

Robert Giraud, “Paris, mon pote”, Editions le dilettante.

vendredi 27 janvier 2017

les panards cradingues puants...

Alphonse Boudard, Chroniques de mauvaise compagnie, L'Hôpital, Editions Presses de la cité/Omnibus.

jeudi 26 janvier 2017

Mais ne plus compter du tout…

" Le sous-officier qui tapait sur nous, en Belgique, n’avait pas une gueule tordue de bourreau. C’était un homme placide qui trouvait que nous ne marchions pas assez vite. Alors il tapait. Et peut-être pensait-il à autre chose, à un jardin, à un soir de son enfance. Peut-être ne pensait-il à rien. Est-ce qu’il nous voyait seulement ? Il tapait comme ça, au petit bonheur, sans colère. Il eût été en colère, on admettrait. Sans plaisir non plus : ça ne paraissait vraiment pas l’amuser. Il devait manquer d’imagination. Il tapait avec une grande indifférence, comme on tape sur des bêtes pour les faire avancer. Et c’était là le pire, cette indifférence de vacher. Etre insultés et haïs en hommes, ça va encore. Mais ne plus compter du tout… […]"

Georges Hyvernaud, La peau et les os, Pocket, 1949.

mercredi 25 janvier 2017

Elles tortillaient pas du panier...

"[…] La supériorité pratique des grandes religions chrétiennes, c’est qu’elles doraient pas la pilule. Elles essayaient pas d’étourdir, elles cherchaient pas l’électeur, elles sentaient pas le besoin de plaire, elles tortillaient pas du panier. Elles saisissaient l’Homme au berceau et lui cassaient le morceau d’autor. Elles le rencardaient sans ambages : “Toi petit putricule informe, tu seras jamais qu’une ordure… De naissance tu n’es que merde… Est-ce que tu m’entends ?… C’est l’évidence même, c’est le principe de tout ! Cependant, peut-être… peut-être… en y regardant de tout près… que t’as encore une petite chance de te faire un peu pardonner d’être comme ça tellement immonde, excrémentiel, incroyable… C’est de faire bonne mine à toutes les peines, épreuves, misères et tortures de ta brève ou longue existence. Dans la parfaite humilité… La vie, vache, n’est qu’une âpre épreuve ! T’essouffle pas ! Cherche pas midi à quatorze heures ! Sauve ton âme, c’est déjà joli ! Peut-être qu’à la fin du calvaire, si t’es extrêmement régulier, un héros, ‘de fermer ta gueule’, tu claboteras dans les principes… Mais c’est pas certain… un petit poil moins putride à la crevaison qu’en naissant… et quand tu verseras dans la nuit plus respirable qu’à l’aurore… Mais te monte pas la bourriche ! C’est bien tout !…Fais gaffe ! Spécule pas sur des grandes choses ! Pour un étron c’est le maximum !…” […]"

Louis-Ferdinand Céline, Mea Culpa, 1936.

lundi 23 janvier 2017

Il y a encore du beau temps pour les asiles...

" Il y a de bonnes raisons d’interdire le LSD, le DMT, le STP, on peut bousiller définitivement sa tête avec, mais pas plus qu’au ramassage des betteraves ou en bossant à la chaîne chez General Motors, en faisant la plonge ou en enseignant l’anglais dans une fac. Si on interdisait tout ce qui nous rend dingues, toute la société y passerait : le mariage, la guerre, le métro, les abattoirs, les clapiers, les tables d’opération, etc. Tout peut virtuellement nous faire craquer parce que la société repose sur des piliers pourris. D’ici à ce qu’on lui botte le cul et qu’on reparte de zéro, il y a encore du beau temps pour les asiles ! "
Charles Bukowski, Mauvais Trip  (Nouveaux contes de la folie ordinaire, Editions Grasset,  traduction de Léon Mercadet).

dimanche 22 janvier 2017

" L'amour c'est comme l'alcool, plus on est impuissant et soûl et plus on se croit fort et malin, et sûr de ses droits. "
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit.

Monsieur Bob...

Robert Giraud (dit Bob)  ©Georges Dudognon

samedi 21 janvier 2017

Il abêtit les masses...

Thomas BernhardL'origine, simple indication, Editions Gallimard.

Creuser son trou...

« Bourladou me demande souvent :
- Enfin, qu’est-ce que tu peux bien y foutre, dans ta chambre, tout seul, comme ça, des soirées entières ?
Parce que lui, Bourladou, dès qu’il ne parle pas à quelqu’un, il s’emmerde.
Ce que j’y fous, ça ne regarde pas Bourladou. Ni personne. J’y creuse mon trou. On a quand même bien le droit de creuser son trou.
- Je lis, tu sais, je travaille…
- Ah oui, fait Bourladou.
Creuser son trou dans l’épaisseur de la ville et de la nuit. Et s’y blottir, s’y gratter, s’y lécher, en attendant le sommeil et la mort.
Bourladou regarde des bouquins épars sur ma table, et se demande ce que ça peut bien être, mon travail.
- Si encore tu avais la radio, dit-il.
Pas besoin de radio. On n’a qu’à s’asseoir sur son lit. A rester là. A écouter le petit bruit obstiné que fait la vie.
J’ai tiré mes huit heures chez Busson frères, Eaux gazeuses. Maintenant je suis assis sur mon lit. Voilà. Assis entre quatre murs miteux revêtus de papier rouge. Derrière les murs, il y a d’autres vivants. Des demi-vivants. Ereintés et flasques, comme moi. Il y a la Folle et les deux Vieux. Il y a Iseult. J’épie de faibles gargouillis de voix, le choc lointain d’un pot à eau contre une cuvette…
Iseult : c’est Bourladou qui surnomme ainsi cette grande fille sèche et amère. Elle est vendeuse dans une quincaillerie. Bourladou, quand il est d’humeur égrillarde, feint de croire que nous couchons ensemble.
- Mes compliments, mon vieux lapin, tu ne dois pas t’embêter avec cette petite.
Je m’applique à rire d’un air fin.
- Une femme qui a du tempérament, dit Bourladou, ça se voit. Et de la ligne, du chic, du sex-appeal. […]»

Georges Hyvernaud, Le Wagon à vaches, 1953, Editions Le Dilettante.

vendredi 20 janvier 2017

300 pages (!!!) sans la lettre ‘e’

"Qui, d'abord, a l'air d'un roman jadis fait où il s'agissait d'un individu qui dormait tout son saoul

Anton Voyl n'arrivait pas à dormir. Il alluma. Son Jaz marquait minuit vingt. Il poussa un profond soupir, s'assit dans son lit, s'appuyant sur son polochon. Il prit un roman, il l'ouvrit, il lut ; mais il n'y saisissait qu'un imbroglio confus, il butait à tout instant sur un mot dont il ignorait la signification.

Il abandonna son roman sur son lit. Il alla à son lavabo ; il mouilla un gant qu'il passa sur son front, sur son cou.

Son pouls battait trop fort. Il avait chaud. Il ouvrit son vasistas, scruta la nuit. Il faisait doux. Un bruit indistinct montait du faubourg. Un carillon, plus lourd qu'un glas, plus sourd qu'un tocsin, plus profond qu'un bourdon, non loin, sonna trois coups. Du canal Saint-Martin, un clapotis plaintif signalait un chaland qui passait.

Sur l'abattant du vasistas, un animal au thorax indigo, à l'aiguillon safran, ni un cafard, ni un charançon, mais plutôt un artison, s'avançait, traînant un brin d'alfa. Il s'approcha, voulant l'aplatir d'un coup vif, mais l'animal prit son vol, disparaissant dans la nuit avant qu'il ait pu l'assaillir.

Il tapota d'un doigt un air martial sur l'oblong châssis du vasistas.

Il ouvrit son frigo mural, il prit du lait froid, il but un grand bol. Il s'apaisait. Il s'assit sur son cosy, il prit un journal qu'il parcourut d'un air distrait. Il alluma un cigarillo qu'il fuma jusqu'au bout quoiqu'il trouvât son parfum irritant. Il toussa.

Il mit la radio : un air afro-cubain fut suivi d'un boston, puis un tango, puis un fox-trot, puis un cotillon mis au goût du jour. Dutronc chanta du Lanzmann, Barbara un madrigal d'Aragon, Stich-Randall un air d’ Aida.

Il dut s'assoupir un instant, car il sursauta soudain. La radio annonçait : « Voici nos Informations ». Il n'y avait aucun fait important : à Valparaiso, l'inauguration d'un pont avait fait vingt-cinq morts ; à Zurich, Norodom Sihanouk faisait savoir qu'il n'irait pas à Washington ; à Matignon, Pompidou proposait aux syndicats l'organisation d'un statu quo social, mais faisait chou blanc. Au Biafra, conflits raciaux ; à Conakry, on parlait d'un putsch. Un typhon s'abattait sur Nagasaki, tandis qu'un ouragan au joli surnom d'Amanda s'annonçait sur Tristan da Cunha dont on rapatriait la population par avions-cargos.

A Roland-Garros, pour finir, dans un match comptant pour la Davis-Cup, Santana avait battu Darmon, six-trois, un-six, trois-six, dix-huit, huit-six.

Il coupa la radio. Il s'accroupit sur son tapis, prit son inspiration, fit cinq ou six tractions, mais il fatigua trop tôt, s'assit, fourbu, fixant d'un air las l'intrigant croquis qui apparaissait ou disparaissait sur l'aubusson suivant la façon dont s'organisait la vision :

Ainsi, parfois, un rond, pas tout à fait clos, finissant par un trait horizontal : on aurait dit un grand G vu dans un miroir.

Ou, blanc sur blanc, surgissant d'un brouillard cristallin, l'hautain portrait d'un roi brandissant un harpon.

Ou, un court instant, sous trois traits droits, l'apparition d'un croquis approximatif, insatisfaisant : substituts saillants, contours bâtards profilant, dans un vain sursaut d'imagination, la Main à trois doigts d'un Sardon ricanant.

Ou, s'imposant soudain, la figuration d'un bourdon au vol lourd, portant sur son thorax noir trois articulations d'un blanc quasi lilial.

Son imagination vaquait. Au fur qu'il s'absorbait, scrutant son tapis, il y voyait surgir cinq, six, vingt, vingt-six combinaisons, brouillons fascinants mais sans poids, lapsus inconsistants, obscurs portraits qu'il ordonnait sans fin, y traquant l'apparition d'un signal plus sûr, d'un signal global dont il aurait aussitôt saisi la signification ; un signal qui l'aurait satisfait, alors qu'il voyait, parcours aux maillons incongrus, tout un tas d'imparfaits croquis, dont chacun, aurait-on dit, contribuait à ourdir, à bâtir la configuration d'un croquis initial qu'il simulait, qu'il calquait, qu'il approchait mais qu'il taisait toujours :

un mort, un voyou, un auto-portrait ;

un bouvillon, un faucon niais, un oisillon couvant son nid ;

un nodus rhumatismal ;

un souhait ;

ou l'iris malin d'un cachalot colossal, narguant Jonas, clouant Caïn, fascinant Achab : avatars d'un noyau vital dont la divulgation s'affirmait tabou, substituts ambigus tournant sans fin au tour d'un savoir, d'un pouvoir aboli qui n'apparaîtrait plus jamais, mais qu'à jamais, s'abrutissant, il voudrait voir surgir.

Il s'irritait. La vision du tapis lui causait un mal troublant. Sous l'amas d'illusions qu'à tout instant son imagination lui dictait, il croyait voir saillir un point nodal, un noyau inconnu qu'il touchait du doigt mais qui toujours lui manquait à l'instant où il allait y aboutir.

Il continuait. Il s'obstinait. Fascination dont il n'arrivait pas à s'affranchir. On aurait dit qu'au plus profond du tapis, un fil tramait l'obscur point Alpha, miroir du Grand Tout offrant à foison l'Infini du Cosmos, point primordial d'où surgirait soudain un panorama total, trou abyssal au rayon nul, champ inconnu dont il traçait l'inouï littoral, dont il suivait l'insinuant contour, tourbillon, hauts murs, prison, paroi qu'il parcourait sans jamais la franchir… […]"

Extrait de “La Disparition” de Georges Perec, Denoël, 1969.

jeudi 19 janvier 2017

L’hypnotiseur des cavernes...

" le Cinéma ? (…) Tout-film achève ! Cerveaux, porte-monnaie !… L’hypnotiseur des cavernes !… tiédeur, moiteur, peluche, branlette, orgues, ors !… La concurrence ! Vous, votre pensum, vous arrivez ! bonne mine ! Regardez clients et clientes emmoités, émerger chancelants blets des Antres, plus reconnaissant nord de sud ! de l’ouest ! se trompant de tout !… réverbères !… métros !… pantalons, jupons !…. tâtonnant ! quartiers !… sexes !… étages !… la tête pour leur derrière !… ils veulent plus que retourner s’asseoir… Ah ! mûrir encore ! bléchir plus ! blets, plus blets !… s’oublier sous eux… mûrir ! fondre… ils coulent déjà plein les tapis… "
Louis-Ferdinand Céline, Féerie pour une autre fois.

mercredi 18 janvier 2017

Le soir arrivait, souriant de tendresse...

« Quand la journée avait été sans incident ni malheur, le soir arrivait, souriant de tendresse.

D’aussi loin que je voyais venir m’man Tine, ma grand-mère, au fond du large chemin qui convoyait les nègres dans les champs de canne de la plantation et les ramenait, je me précipitais à sa rencontre, en imitant le vol du mansfenil, le galop des ânes, et avec des cris de joie, entraînant toute la bande de mes petits camarades qui attendaient comme moi le retour de leurs parents.

M’man Tine savait qu’étant venu au-devant d’elle, je m’étais bien conduit pendant son absence. Alors, du corsage de sa robe, elle retirait quelque friandise qu’elle me donnait : une mangue, une goyave, des icaques, un morceau d’igname, reste de son déjeuner, enveloppé dans une feuille verte ; ou, encore mieux que tout cela, un  morceau de pain. M’man Tine me rapportait toujours quelque chose à manger. Ses compagnes de travail en faisaient souvent la remarque, et m’man Tine disait qu’elle ne pouvait porter quoi que ce soit à sa bouche qu’elle ne m’eût réservé une part.

Derrière nous  apparaissaient d’autres groupes de travailleurs, et ceux de mes camarades qui y reconnaissaient leurs parents se précipitaient à leur rencontre, en redoublant de criaillerie. […]»

Joseph Zobel, La Rue Cases-Nègres, Editions Présence Africaine.

mardi 17 janvier 2017

La révolte tue souvent la grâce...

" Ne voyant la vie que comme un combat; espèce de déserteur à qui les camarades même hésitent à tendre la main, tant j'ai des théories violentes qui les insultent et qui les gênent; ne trouvant nulle part un abri contre les préjugés et les traditions qui me cernent et me poursuivent comme des gendarmes, je ne pourrais être aimé que de quelque femme qui serait une révoltée comme moi. Mais j'ai remarqué que la révolte tuait souvent la grâce !"
Jules Vallès, Le Bachelier, 1881.

dimanche 15 janvier 2017

Elle se payait les belles pièces…

« La mère à Riri a passé la sienne de vie à changer de coin, tout lui parlait trop, elle disait, ça lui filait le noir. Elle était vraiment marquée du signe indien, à chaque changement, à chaque triage elle était marron. Comme collection de tuiles, elle se payait les belles pièces, elle a dû se retirer en province, grillée partout.
Chaque après-midi, elle venait commencer son quart pas très loin de la porte Saint-Denis, son gosse Riri qui avait bien neuf ans, avec elle. C’est mon Julot à moi elle disait en rigolant. Elle amenait le môme qu’elle avait été prendre à la sortie de l’école où qu’il s’instruisait, et elle le planquait dans un petit bistrot.
Riri lui servait de coffre-fort, comme elle avait jamais été vernie, il lui arrivait de se faire piquer son fric par son client, alors à chaque passe, elle rappliquait au bistre et envoyait la comptée à Riri qui planquait le tout sur lui, un peu fiérot qu’il était. […] »

Robert Giraud, Le vin des rues, Editions Stock, 1955.

samedi 14 janvier 2017

toi

elle me disait : tu es une vraie bête
avec ton gros ventre blanc
et tes pieds velus.
tu ne coupes jamais tes ongles
et tu as des mains rondes
et souples comme un chat
et ton pif rouge brille comme un phare
mais tu as les plus belles couilles
que j’aie jamais vues.
tu lâches ton foutre comme
une baleine lâche son jet.

bête, tu es ma bête,
et que je t’embrasse et que je t’embrasse :
qu’est-ce que tu prends
pour ton petit déjeuner ?

Charles Bukowski, L’amour est un chien de l’enfer, 1977, Editions Grasset, Trad. G.Guéguan.

vendredi 13 janvier 2017

Il faut un moment de délire...

" La raison ! Faut être fou ! On ne peut rien faire comme ça, tout émasculé. Ils me font rire. Regardez ce qui les contrarie : on n’a jamais réussi à faire raisonnablement un enfant. Rien à faire, il faut un moment de délire pendant le coït. Mais non, en littérature, faut rester propre. "
Louis-Ferdinand Céline, entretien avec Robert Poulet, 1958, cité dans Le Magasin Littéraire n°505 Février 2011.

jeudi 12 janvier 2017

Ils sont soudards, criards, ridicules...

“ Si l’on n’avait pas appris l’art cruel de faire des miroirs, et que les femmes dussent passer leur vie au bord des rivières, chacun de nous ne verrait vieillir que les autres… ”

“ La civilisation assouplit, polit les instincts et les énergies dont elle n’utilise que la force vive, pour ses fins obscures… Mais n’accumule-t-elle pas artificiellement des éléments qu’elle déforme en les comprimant, et dont la déflagration multipliera, dans une circonstance donnée, la redoutable puissance inerte ? ”

Ainsi vont les réformes sociales qui sont de pauvres chevaux à qui tout fait peur, et dont les conducteurs sont toujours endormis… Elles partent, un beau soir, ardentes, fringantes… Le moindre incident de route leur fait rebrousser chemin… et elles reviennent, le matin, au point d’où elles étaient parties.

“ Il est bien évident que, neuf fois sur dix, l’homme est entièrement responsable de l’écrasement du chien. Le chien est-il parvenu à se mettre en sûreté d’un côté de la route, que, bien vite, l’homme l’appelle, comme si, d’être près de l’homme, cela suffisait à tout, pour le chien… L’homme l’appelle avec une autorité impérieuse, glapissante, comme on voit les mères appeler leurs enfants, dans les rues, juste pour qu’ils se précipitent sous les véhicules. Merveilleux instinct de l’amour maternel des mères, accouplé à leur sottise ! Le chien, qui se plaît aux caresses plus qu’un homme, et aux coups, mieux qu’une femme, accourt à l’appel. Peut-être a-t-il vu le danger ? Il n’importe. Il accourt, puisqu’il est fidèle, et, en accourant, il se fait écraser. Naturellement. D’ailleurs, que peut-il arriver d’autre, lorsqu’on se dévoue à un homme, à une femme, à un principe, au lieu de suivre sa vie, et au point de leur sacrifier, comme le chien, ses idées, ses goûts, sa personnalité ? " 

” Les mâles, eux, ne vivent que d’amour et de guerre. Ils sont soudards, criards, ridicules, prétentieux, dégoûtants, comme toutes les bêtes… à femmes. Se battant quand ils ne font pas l’amour, faisant l’amour quand ils ne se battent pas, combien en avons-nous écrasés, en cette double posture !… Comme Wallenstein, qui « avait cela de commun avec les lions », dit Schiller, j’ai horreur du cri du coq. Dès le matin, ils claironnent une chanson monotone et stupide qui me réveille et qui m’irrite… S’ils n’étaient pas si bien mis – avec trop d’éclat, pourtant – ah ! comme on les détesterait ! Les Gaulois, bavards, vantards, paillards, pillards, braillards, guerriers et militaristes, ne pouvaient mieux choisir leur emblème. “

” Plus je vais dans la vie, et plus je vois clairement que chacun est l’ennemi de chacun. Un même farouche désir luit dans les yeux de deux êtres qui se rencontrent : le désir de se supprimer. Notre optimisme aura beau inventer des lois de justice sociale et d’amour humain, les républiques auront beau succéder aux monarchies, les anarchies remplacer les républiques, tant qu’il y aura des êtres vivants, tant qu’il y aura des hommes sur la terre, la loi du meurtre dominera parmi leurs sociétés, comme elle domine parmi la nature. C’est la seule qui puisse satisfaire les convoitises, départager les intérêts… “

” Aux cris de la sirène, les hommes sortent de leurs maisons, quittent leurs champs, s’assemblent, me maudissent, me montrent le poing, brandissent des faux et des fourches, me jettent des pierres. Depuis Jésus, c’est toujours la même histoire. On se dévoue, pour les hommes… Et ils vous lapident, la veulerie des temps ne permettant plus qu’ils vous crucifient ! “

" Même dans leurs moments d’exaltation, ils ne se livrent jamais, et toujours ils se mentent. N’est-ce donc point là le parfait amour ? ” 

Octave MirbeauLa 628-E8, 1907.

mardi 10 janvier 2017

Mais il a la vie dure, le salaud...

« Je ne sais même pas pourquoi j’écris tout ça. Mettons que j’écris comme les autres jouent au bridge ou font des mots croisés. Pour tuer le temps. Mais il a la vie dure, le salaud. » p.51

« Ecrire, c’est encore ce que je fais de moins mal. Ressource d’infirme. Les écrivains sont probablement tous ainsi, les vrais. Pas étonnant qu’ils se fassent rouler… » p.61

« Ils ont raté pas mal de choses. A peu près tout, si on regarde bien. Mais ils ont réussi à devenir vieux, c’est appréciable. Surtout si on tient compte de toutes les ressources de la civilisation pour abréger l’existence de l’être humain. » p.115-116

« […] pour le lecteur la fonction et la justification du livre est non de divertir, mais d’avertir. De nous secouer et de nous éveiller, et de nous coller de force la face contre la réalité de l’homme et la réalité du monde. » p.170-171

Georges HyvernaudFeuilles volantes, Editions Le Dilettante.

lundi 9 janvier 2017

La langue française…

« Tenez, je vous entends d’avance ! Les voix, le chœur indigné… les pères de famille, les militaires, les bonnes d’enfants, les pieds-bots, les idéalistes du progrès, les poètes, les grammairiens, les justiciers réformistes, les angoissés de l’atome, les petites filles modèles, les dames patronnesses, les bonapartistes, les bègues, les anciens combattants… Tous ! le Barreau, l’ordre de Malte et l’Académie de l’humour !… Salaud ! scatologue ! fainéant ! pervers ! infect corrupteur ! Vous vous complaisez dans l’emphase merdeuse, dans le crime, la sanie, les égouts ! Vous en êtes un autre ! Sans patrie, sans foi, sans jeunesse, sans âme ! Votre lourde insistance dans les chiottes relève de la psychanalyse. Stade anal ! Vos cloportes-personnages répugnent à l’honnête homme, lui soulèvent le cœur. Vous vous vautrez dans le sordide. Les putains du Sébasto elles-mêmes vous dégueulent ! Vous déshonorez la langue française avec vos barbarismes, solécismes… vos ellipses glandilleuses. Vous la traînez dans la fiente, pénible coprophage… […]»

Alphonse Boudard, Chroniques de mauvaise compagnie, La Cerise, p.296, Editions Presses de la cité/Omnibus.

dimanche 8 janvier 2017

anémie pernicieuse

je pourrais me reposer sur le passé,
il y a beaucoup de livres
sur les étagères,
les étagères
débordent.

je pourrais dormir toute la journée
avec mes chats.

je pourrais parler à
mon voisin
par-dessus la clôture,
il a 96 ans et
un passé
lui aussi.

je pourrais pester
contre la vie,
attendre doucement la
mort.

quelle horreur
ce serait :
faire comme tout le
monde.

il me faut arranger un
retour en arrière.

revenir
pouce par pouce
en rampant
vers
le soleil de la
création.

que la lumière soit !
que je sois !

je les
aurai
encore une
fois.

Charles Bukowski, Le Ragoût du septuagénaire, 1990.

Un trou...

"Un souffle. Une caisse. Un peu de musique d’église. Un trou. Un peu de terre par-dessus. Et bonsoir."
Paul Léautaud, Journal littéraire.

samedi 7 janvier 2017

Harry Crews (1935-2012)


J’suis pas mariolle…

"Avenue Victoria, la ménagère fait toujours sa provende. Son filet à provision au bras, elle tapine aussi depuis quarante ans. Aux Halles, il n’y a pas d’heure pour les courses.

- C’est une combine à moi, elle dit. Avec ce truc-là les flics souvent font pas gaffe, y s’imaginent pas que je suis au turbin, y m’emballent pas. L’client lui, y m’prend jamais pour une pute, il a l’impression d’baiser une femme qui fait ses commissions et veut s’farcir un petit supplément. Y a des années que j’fais le truc, ça prend toujours, après on croit que j’suis pas mariolle…
- T’as trouvé ton pot-au-feu, lance une môme sur son passage. La rue entière se tord. La ménagère passe, très digne, un petit sourire pincé aux lèvres, serrant contre elle bien fort son filet d’où dépasse une botte de poireaux."

Robert Giraud, Le vin des rues, Stock, 1955.

vendredi 6 janvier 2017

Célinement vôtre...

Quelques avis de Louis-Ferdinand Céline sur ses contemporains, Magazine LIRE, H.S. n°7.
"Heureux en amour, Adam nous eût épargné l’Histoire."
Emil M. Cioran, Syllogismes de l'amertume, 1952.

jeudi 5 janvier 2017

Affamé et hargneux...

« Affamé et hargneux, je savais que rien au monde ne pourrait me contraindre au suicide. C’est précisément à cette époque que j’avais commencé à comprendre l’essence du grand instinct vital dont l’homme est doté au plus haut point. Je voyais les chevaux s’épuiser peu à peu et mourir : je ne pourrais m’exprimer autrement ni employer d’autres verbes. Les chevaux ne se distinguaient en rien des hommes. Ils mouraient à cause du Nord, d’un travail au-dessus de leurs forces, de la mauvaise nourriture et des coups. Et bien que leur situation fût cent fois meilleure que celle des hommes, ils mouraient plus vite qu’eux. Alors je compris l’essentiel : l’homme n’était pas devenu l’homme parce qu’il était la créature de Dieu, ni parce qu’il avait aux mains ce doigt étonnant qu’est le pouce. Il l’était devenu parce qu’il était physiquement le plus robuste, le plus résistant de tous les animaux et, en second lieu, parce qu’il avait forcé son esprit à servir son corps avec profit. »

Varlam Chalamov, Récits de la Kolyma, p.53, Editions Verdier.

Les habiletés du trou du cul...

« […] Albert, à l’épicerie, il se servait gratis. Loulou supportait tout de lui… elle payait cash, au jour le jour, les gâteries du dernier homme de sa vie. A première vue on peut trouver ça sordide… au fond, c’est de la pure sagesse ! Passé l’âge des clairs  de lune et des serments, il faut se hâter de grappiller le plaisir… encore un petit coup de bite, monsieur le bourreau !... A donner ou prendre, selon ! Tatahouine, s’il avait pu, il l’aurait bien tronchée aussi la mémée. Seulement, lui, il se rapprochait un peu trop de son âge…  ils étaient contemporains. Pour la bagatelle, c’est pas l’idéal… au fur et à mesure qu’on avance vers la boîte à dominos… on s’en ressent pour la jeunesse, on veut lui inculquer ce qui nous reste d’expérience… les habiletés du trou du cul. Tout le tragique est là… Roméo chauve édenté, lutinant, poussant une Juliette cacochyme dans une petite carriole à Nanterre. Les sentiments, il leur faut de l’enveloppe de chair fraîche… les bandaisons, les pâmoisons, ça supporte mal la bouteille. »

Alphonse Boudard, Les combattants du petit bonheur, La Table Ronde, 1977.

Tout le reste c'est du yoyo !

Lettre de Louis-Ferdinand Céline à François Mauriac, p.347, in Lettres, Bibliothèque de la Pléiade, ©2009 Gallimard.

Bukowski au chiotte...


La vie manque de romanesque...

« Peut-être aussi qu’il ne pense à rien – les gens pensent moins qu’on ne croit, ça vaut mieux pour eux. » p.97

« Les vivants deviennent présidents. Les morts deviennent monuments. Une fois le monument solidement planté en terre, avec ses palmes, ses faisceaux et ses moulures, les vivants n’ont plus de question à poser aux morts. On renonce à chercher leur vérité à travers la confusion des actes et des mots, des rêves et des rôles. C’est cela qui justifie l’existence des monuments aux morts : ils arrêtent les curiosités. » p.98

« - Voyez-vous, mon petit, le vieux Dardillot, c’est un homme qu’on ne salue plus. Point de saluts pour les salauds. » p.102

« La vie manque de romanesque quand on est obligé de la gagner. » p.115

« On voit ce que l’homme peut faire, et ce qu’on peut faire de lui. En faire un conducteur d’autobus ou un comptable. Un homme-outil, de toute façon. Et qui présente juste autant de possibilités romanesques qu’une machine à perforer ou une clef à molette. » p.116-117

« C’était net, des noms, c’était propre. Et même joli à regarder. Et inoffensif comme une page du dictionnaire ou de l’Annuaire du Téléphone. Les cadavres sont toujours pleins de reproches et de mépris. Mais, changés en noms, ils acquièrent une prodigieuse discrétion. On les lit sans songer qu’ils sont les noms de quelqu’un. On n’est même pas forcé de les lire. » p.147

« Mon oncle Aurélien, au cours d’une permission, nous avait raconté qu’un de ses copains avait été enseveli par un obus : il y avait juste son pied qui dépassait, avec la grosse godasse cloutée. On l’avait laissé comme ça. C’était commode, ce pied. Il servait de portemanteau. On y suspendait sa capote, sa musette. Mon oncle donnait ces détails avec satisfaction. « C’est affreux », protestait ma mère. « Mais non, mais non, disait l’oncle en rigolant, c’est la guerre. » A présent, le macchabée utilitaire de mon oncle Aurélien avait sûrement recouvré sa dignité, sa décence. Il devait bien lui aussi avoir son nom inscrit sur quelque monument. Il n’était plus un objet grotesque et incongru. Il accédait à l’univers désincarné des Noms. Il avait pris la noblesse, la pureté, la transcendance des Noms. » p.148

« Les façons de mourir à la guerre sont d’une variété infinie, la guerre a ça de bon. Et après, on a son nom sur un monument. Un ministre vient de Paris tout exprès. Des petits garçons chantent en chœur. » p.151

Georges Hyvernaud, Le wagon à vaches, Editions Le Dilettante.

L'Art

«[…] bien finis pour moi, les chinoiseries de l’écriture et les recommencements, comme il y a encore deux ans, quinze fois de la même page. Les grandes machines de style, avec le perpétuel ronron de leurs phrases, m’ont à jamais dégoûté de la forme. Pauvres livres, si harmonieux, si l’on veut, et si assommants ! Dans les livres que j’aime, il n’y a pas de rhétorique, il y a même bien des imperfections, mais celui qui les a écrits valait tous les Flaubert du monde. Ah ! la beauté, l’intérêt pénétrant, souvent, de certaines de ses phrases mal faites, mais laissées dans leur vérité, mais pas truquées par l’art ! Mais, voilà ! Il faut savoir lire, avoir beaucoup lu, et comparé, et pesé la duperie de ce mot : l’art, qu’affectionnent les imbéciles. Alors, on revient de bien des admirations, et tous ces soi-disant grands livres ne tiennent pas une minute. »

Paul Léautaud, Le petit ami, p.211, Editions Gallimard/L’Imaginaire.

mercredi 4 janvier 2017

Robert Giraud (1921-1997)


Saigne du trou du cul…


A Jon et Louise Webb

10 novembre 1963
«[…] N’ai pas écrit de poèmes ces derniers temps, quoique je pourrais vous en descendre quelques-uns et vous les envoyer avec cette lettre, mais j’en doute : il faut pour ça que je sois seul et la femelle vient juste de rentrer à la maison. […]
Et maintenant elle chante, « Il n’y a pas de Jésus-Christ sur la Croix
et ça nous rend tristes… »
Elle invente tout le temps ce genre de chansons. Vous comprenez maintenant pourquoi je picole ?
Et maintenant elle se met à chanter, « Buk saigne du trou du cul,
Buk saigne du trou du cul,
et personne n’en a rien à
foutre
foutre
foutre… ! »
Vous comprenez maintenant pourquoi je bois ? Hein ? Vous comprenez ? Vous comprenez ?! […]» (Page 70)

Charles Bukowski, Correspondance 1958-1994, ©Editions Grasset. Trad. M.Hortemel

Se plonger dans le grand tout…

« L’été, la mode, ou le soin de sa santé, qui est aussi une mode, veut que l’on voyage. Quand on est un bourgeois cossu, bien obéissant, respectueux des usages mondains, il faut, à une certaine époque de l’année, quitter ses affaires, ses plaisirs, ses bonnes paresses, ses chères intimités, pour aller, sans trop savoir pourquoi, se plonger dans le grand tout. Selon le discret langage des journaux et des personnes distinguées qui les lisent, cela s’appelle un déplacement, terme moins poétique que voyage, et combien plus juste!… Certes, le coeur n’y est pas toujours, à se déplacer, on peut même dire qu’il n’y est presque jamais, mais on doit ce sacrifice à ses amis, à ses ennemis, à ses fournisseurs, à ses domestiques, vis-à-vis desquels il s’agit de tenir un rang prestigieux, car le voyage suppose de l’argent, et l’argent toutes les supériorités sociales.
Donc, je voyage, ce qui m’ennuie prodigieusement, et je voyage dans les Pyrénées, ce qui change en torture particulière l’ennui général que j’ai de voyager. Ce que je leur reproche le plus aux Pyrénées, c’est d’être des montagnes… Or, les montagnes, dont je sens pourtant, aussi bien qu’un autre, la poésie énorme et farouche, symbolisent pour moi tout ce que l’univers peut contenir d’incurable tristesse, de noir découragement, d’atmosphère irrespirable et mortelle… J’admire leurs formes grandioses, et leur changeante lumière… Mais c’est l’âme de cela qui m’épouvante… Il me semble que les paysages de la mort, ça doit être des montagnes et des montagnes, comme celles que j’ai là, sous les yeux, en écrivant. C’est peut-être pour cela que tant de gens les aiment.
La particularité de cette ville où je suis, et dont l’excellent Baedecker, pince-sans-rire allemand, chante en des lyrismes extravagants « la sublime beauté idyllique », tient en ceci, qu’elle n’est pas une ville. En général, une ville se compose de rues, les rues de maisons, les maisons d’habitants. Or, à X…, il n’y a ni rues, ni maisons, ni habitants indigènes, il n’y a que des hôtels… soixante-quinze hôtels, énormes constructions, semblables à des casernes et à des asiles d’aliénés, qui s’allongent les uns les autres, indéfiniment, sur une seule ligne, au fond d’une gorge brumeuse et noire, où toussote et crachote sans cesse, ainsi qu’un petit vieillard bronchiteux, un petit torrent. Ça et là, quelques étalages installés au rez-de-chaussée des hôtels, boutiques de librairies, de cartes postales illustrées, de vues photographiques de cascades, de montagnes et de lacs, assortiments d’alpenstocks et de tout ce qu’il faut aux touristes. Puis, quelques villas, éparpillées sur les pentes… et, au fond d’un trou, l’établissement thermal qui date des Romains… ah! oui… des Romains!… Et c’est tout. En face de soi, la montagne haute et sombre; derrière soi, la montagne sombre et haute… À droite, la montagne, au pied de laquelle un lac dort; à gauche, la montagne toujours, et un autre lac encore… Et pas de ciel… jamais de ciel, au-dessus de soi! De gros nuages qui traînent d’une montagne à l’autre leurs pesantes masses opaques et fuligineuses… […]»

Octave Mirbeau, Les 21 jours d’un neurasthénique, 1901.