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samedi 20 juillet 2019

Mieux vaut lire ça...


"Céline m’emmerde. Profondément et à jamais. Rien à voir avec le débat aussi répétitif que vain sur L’homme/L’écrivain, la Collaboration, l’antisémitisme et tout ça. Céline m’emmerde – gravement – parce que ses livres m’emmerdent.
D’un écrivain et de ses livres, j’attends d’abord – au-delà de l’étonnement, du plaisir, du divertissement, de la réflexion, bref des affects immédiats de lecteur – fondamentalement deux dimensions essentielles à mes yeux : l’universalité et le style. Avec Céline je n’ai ni l’un ni l’autre.
Quel que soit le sujet que Céline aborde, la guerre, l’humanité, les femmes, la modernité, l’amour, il ne nous sert toujours que la même soupe : ses symptômes, son moi, sa haine de l’existence, sa vision du monde, son bric-à-brac aussi pitoyable que grotesque. En gros, Céline n’a d’autre préoccupation que Céline et c’est terriblement ennuyeux parce que les préoccupations de Céline sont tristes (Spinoza aurait parlé de passions tristes), étriquées, rabougries, égocentriques et surtout obsessionnelles. Où est le souffle de l’humanité dans n’importe laquelle de ses œuvres ? On répond Le « Voyage » ? Pas besoin d’attendre le naufrage littéraire des œuvres ultérieures, c’est déjà un sinistre pamphlet : contre la modernité, contre les hommes, contre l’organisation sociale, contre, contre, contre. Jamais pour et c’est là qu’on atteint la première limite insupportable de Céline : on ne trouve trace dans son œuvre d’aucune forme d’engagement positif."...

A lire...

...que d'être aveugle !
Quoique... J'espère que son écrivain préféré n'est pas Marc Levy!
Les mêmes arguments peuvent être utilisés pour justifier pourquoi je l'aime le Céline...
Pour moi, l'un des derniers grands atrabilaires avec Léon Bloy et Paul Léautaud...

jeudi 18 juillet 2019

Le Feu - Henri Barbusse

Présentation de l’éditeur
Les années 1915 et 1916 ont marqué, pour Henri Barbusse, des dates décisives. C’est en 1915 qu’il a vécu Le Feu dans les tranchées du Soissonnais, de l’Argonne et de l’Artois, comme soldat d’escouade, puis comme brancardier au 231e régiment d’infanterie où à s’était engagé. C’est en 1916, au cours de son évacuation dans les hôpitaux, qu’il a écrit son livre. Celui-ci, publié par les Editions Flammarion à la fin de novembre, remportera aussitôt après le prix Goncourt. Le Feu est considéré depuis près de trois quarts de siècle dans le monde entier comme un des chefs-d’oeuvre de la littérature de guerre, un des témoignages les plus vrais et les plus pathétiques des combattants de première ligne. Témoignage impérissable aussi : Le Feu, traduit dans la plupart des langues, continue de susciter chez les jeunes un immense intérêt. Le Feu est suivi du Carnet de guerre qui permet de remonter aux sources mêmes de la création du roman épique d’Henri Barbusse.

Ce journal d’une escouade est une chronique de la guerre de 14-18 à travers le quotidien des poilus « dans leur jus » avec leurs argots, leurs accents et leurs expressions d’époque. C’est un documentaire (à peine romancé) qui dénonce toute l’horreur de la guerre et son absolu inutilité sans rien nous épargner. Jamais la guerre n’a été aussi bien retranscrit ; oubliez les films sur le sujet, ce sont des contes pour enfant à côté de ce livre (…soldat Ryan ; un oui-oui à la campagne). Les critiques de l'époque ont d'ailleurs qualifié ironiquement Barbusse de "Zola des tranchées".
C'est un texte à déchirer le cœur ; on ressent bien l’atmosphère pesante, la pluie quotidienne,  l’humidité qui règne en permanence dans les tranchées, la boue, la fumée des bombardements qui recouvre tout comme une chape de plomb. L’Homme ne ressemble plus à un homme... L’Humanité touche le fond... Quant on pense qu’ils ont remis ça en 39-45! Maintenant ce ne sont plus que des noms sur des plaques... (cf Hyvernaud) C’est l’horreur absolue... C’est renforcé par le fait que tous les détails de la vie quotidienne sont là, rien n’est oublié, rendant les scènes d’un réalisme presque clinique...
Henri Barbusse n’a pas révolutionné le style mais il a un pouvoir d’évocation extraordinaire. Et il sait à merveille retranscrire l'oralité ; comme, par exemple, le parler des gens de Ch'Nord! Un Chef-d’œuvre qui mérite amplement son prix Goncourt 1916. Pourquoi n’étudions-nous pas plus ce livre à l’école ? au lieu de nous gaver de livres d'histoire ! 
Attention, cependant, l’argot et les longues scènes de description peuvent en rebuter plus d’un.

« Les jeux des enfants sont de graves occupations. Il n’y a que les grandes personnes qui jouent. » p.111

« Ah ! mon vieux, ruminait notre camarade, tous ces mecs qui baguenaudent et qui papelardent là-dedans, astiqués, avec des kébrocs et des paletots d’officiers, des bottines – qui marquent mal, quoi – et qui mangent du fin, s’mettent, quand ça veut, un cintième de casse-pattes dans l’cornet, s’lavent plutôt deux fois qu’une, vont à la messe, n’défument pas et l’soir s’empaillent dans la plume en lisant sur le journal. Et ça dira, après : «J’suis t’été à la guerre.» » p.133

« Oui, oui. Alors c’est trop facile de dire : « Faisons pas d’différence entre les dangers ! » Minute. Depuis le commencement, y en a quelques-uns d’eux autres qui ont été tués par un malheureux hasard : de nous, y en a qué’qu’s-uns qui vivent encore, par un hasard heureux. C’est pas pareil, ça, vu qu’quand on est mort c’est pour longtemps. » p.148

« Quand y a la guerre, on doit risquer sa peau. » p.149

« Labri, vague berger […] est couché en rond sur une toute petite litière de poussière de paille. […] Bécuwe s’approche et, avec sont accent chantant des environs de Lille : 
– Il minge pas s’pâtée. Il va pas, ch’tiot kien. Eh ! Labri, qu’ch’ qu’to as ? V’là tin pain, tin viande. R’vêt’ cha. Cha est bon, deslo qu’est dans t’ tubin… I’ s’ennuie, i’souffre. Un d’ ch’ matin, on l’r’trouvera, ilo, crévé. » p.159

« A la guerre, la vie, comme la mort, vous sépare sans même q’on ait le temps d’y penser. » p.304

«[…] j’ai oublié […] ma souffrance de la guerre. On est des machines à oublier. Les hommes, c’est des choses qui pensent un peu, et qui, surtout, oublient. Voilà ce qu’on est. » p.359

« — Les hommes sont faits pour être des maris, des pères – des hommes, quoi ! – pas des bêtes qui se traquent, s’égorgent et s’empestent.  
— Et tout partout, partout, c’est des bêtes, des bêtes féroces ou des bêtes écrasées. Regarde, regarde ! » p.360

« — Deux armées qui se battent, c’est comme une grande armée qui se suicide ! » p.361

« — Tout de même, qu’est-ce que nous sommes depuis deux ans ? De pauvres malheureux incroyables, mais aussi des sauvages, des brutes, des bandits, des salauds. » p.361

Henri Barbusse, Le Feu, Editions  LGF/Livre de poche - 412 pages

dimanche 14 juillet 2019

Comment être heureux - Arthur Schopenhauer

Présentation de l’éditeur
Personnage ombrageux, taciturne et pessimiste, Arthur Schopenhauer est cependant l'auteur d'une oeuvre qui défend l'épanouissement et le génie de l'individu contre les maux de la société. Dans un monde où les hommes oscillent entre "l'ennui et la douleur", le chemin de la félicité ne semble pas tracé d'avance... La voie qui se dessine au gré des textes rassemblés dans ce recueil est celle d'un état de neutralité qui permettrait de s'affranchir de la souffrance et de vivre avec les coups du sort. Tour à tour satiriques, mordantes et revigorantes, ces réflexions pragmatiques sont issues des Aphorismes sur la sagesse dans la vie.
Arthur Schopenhauer (1788-1860) Philosophe allemand du début du siècle, il pose les fondements de sa doctrine dès 1819 dans Le Monde comme volonté et comme représentation. Ce solitaire incompris n'accède à la renommée qu'à la fin de sa vie et devient une figure majeure de la philosophie allemande, influençant notamment Friedrich Nietzsche et Sigmund Freud.

Gentille entrée en matière à la philosophie de Schopenhauer (Schop’Schop’ pour les intimes), ces extraits de “Aphorismes sur la sagesse dans la vie”, véritable reader's digest (cf Céline), se laissent lire assez facilement même si parfois il faut un peu s’accrocher. Et quand on sent que l’on va un peu décrocher, Schopenhauer nous donne un exemple concret, ce qui nous remet sur la route au lieu de nous laisser au bord du chemin ; ce qui est plutôt bien vu! Mais j'aurais aimé certains extraits plus longs.
Le titre est à prendre avec ironie ; la recherche du bonheur chez Schopenhauer, si j'ai bien tout compris, est la recherche du non-malheur, fuir tout ce qui peut nous rendre malheureux, fuir les bonheurs factices...
J’ai découvert ainsi que j’étais plus “schopenhauerien“ que “bon à rien”, c'est rassurant ; en tout cas, j’ai beaucoup de points communs...
Je l’ai d’ailleurs offert à ma mère, qui, à 70 ans et mèche, cherche encore après (le bonheur) ; ça lui fera les pieds... ;D
Reste à me procurer et à lire la version complète...

dimanche 17 mars 2019

Un très bon début d'année 2019... #2

Testé et Approuvé !


Emile et Louise Lecouvreur font l'acquisition de l'Hôtel du Nord, par l'intermédiaire de mercier, marchand de fonds.
Au comptoir : Philippe Goutay et sa femme. Parmi les locataires : Renée, qui est aussi la bonne de l'hôtel, et son amant, l'ouvrier Pierre Trimault, qui prend la poudre d'escampette en apprenant qu'il va être père. Des habitués, déjà : les joueurs de cartes, le père Louis et Marius Pluche ; Julot, l'éclusier du canal Saint-Martin. Des gens de passage... Des histoires... Eugène Dabit nous conte ici la vie et la mort du petit hôtel du quai de Jemmapes, encore debout aujourd'hui, et qui a inspiré à Marcel Carné l'inoubliable Hôtel du Nord, avec Arletty, Louis Jouvet, Bernard Blier... Atmosphère ! Atmosphère !... 

Comme disait l'autre : « Atmosphère ! Atmosphère !... Est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère ?!». C'est surtout un livre d'atmosphère, d’une époque disparue, très années 20, d’un temps révolu, avec une gallerie de personnages savoureux,  truculents, mais parfois fantomatiques. Très léger, ce livre se lit très facilement après un livre plus dur… peut-être un peu vieilli…

Elle l'avait rendu exigeant et difficile. La vie à deux use le coeur d'un homme. Pierre ne lui parlait plus jamais d'amour. Le dimanche, lorsqu'elle voulait sortir avec lui comme autrefois, il refusait pour aller jouer à la manille. Elle le regardait partir, les larmes aux yeux. [...]
Elle s'abandonnait à une sorte de mirage où les plaisirs de l'amour se liaient à ceux d'une vie régulière et douce.
L'argent filait et l'humeur de Trimault s'assombrissait vite. Renée attendait ses baisers comme une aumône.

Un jour de janvier 1975, Jean Meckert est allongé sur un lit de La Pitié-Salpêtrière. Il a été trouvé inanimé dans une rue de Belleville. Sorti des épreuves de l’hospitalisation qui n’effacent pas les séquelles de deux heures de coma, il veut comprendre ce qui le laisse ainsi anéanti. Commence alors une lente enquête et une profonde méditation sur son passé, puis naît peu à peu l’idée d’un roman dont le narrateur serait un écrivain devenu amnésique. Aban­donnant ses habituels personnages de série noire, le romancier choisit de faire de l’enfant qu’il fut, et que la mémoire a gardé intact alors que le souvenir des événements récents a disparu, le protagoniste de son prochain ouvrage.
La mort de la mère puis celle de la sœur de Jean Meckert vont brutalement rendre l’écriture de l’œuvre plus impérative encore, ces deux êtres disparus devenant les figures centrales de l’entreprise romanesque. La fiction se mêle alors intimement aux réalités saillantes de son existence, Jean Meckert faisant de sa biographie l’essence même de Comme un écho errant.
Adressé en 1986 aux Éditions Gallimard, l’ouvrage est chaleureusement accueilli par Roger Grenier, mais refusé par les autres lecteurs qui reprochent à Meckert de n’avoir pas choisi entre la biographie documentée et le roman psychologique.
Terminé moins d’une dizaine d’années avant la mort de l’auteur, ce roman est resté inédit jusqu’à ce jour.

Après un tabassage en règle, laissé pour mort, et un coma bien mérité, Meckert se retrouve avec un trou de mémoire de près de 20 ans !… La bonnefemme s'est barrée, le bonfils quasi inexistant, la mère vieillissante, il ne reste plus que la sœur dévouée, au quintal rassurant, pour s'occuper de son frérot amnésique… Meckert va essayé de retrouver cette mémoire perdue en se replongeant dans ses romans, pour voir si un détail, une sensation lui reviendrait… mais nada, que dalle! plus rien ! Pas même un souvenir de ces voyages effectués pour jeter la base de ses romans. Seule persiste son enfance, ses souvenirs d’enfance, qu’il va essayer de cultiver pour se reconstruire, de recouvrer la mémoire… Aussi il lui reste le plus important, qui n’a pas été touché, son côté « anar » qui lui vient de la mère et du père fusillé pour « traîtrise » envers la patrie… Déjà un bon héritage familiale… Mais qui l’amènera plus tard à cette ratonnade. Par « anar », on peut aussi entendre qui ne suit pas bêtement le troupeau de moutons humains… S’ensuivent ensuite des réflexions sur la vie, sur son individualisme, sur la reconstruction d’un être sans souvenir, sur une forme de résilience pour la survie… J’ai beaucoup aimé ce Meckert plus intime, sa prose introspective, son indépendance intellectuelle, loin des sentiers battus et rebattus… Après « Les coups », « L’homme au marteau » et quelques romans noirs, c’est une bonne (re)découverte que je vais poursuive…

Lui, il était à peine plus grand, blond à l'oeil bleu, la gouaille au coin des moustaches. Elle lui devait tout : le savoir lire-écrire, le sens de sa liberté révélée. Il lui avait appris qu'elle n'avait pas à s'écraser devant ses patrons, que le drapeau n'était que torchon médaillé, les hymnes nationaux des borborygmes de poivrots, et qu'il ne fallait pas se priver de crier : "Crois ! Crois ! Crois !" devant le pape et ses corbeaux. Probable qu'il ne lui lisait pas Proudhon ou Bakounine dans le texte, mais il l'emmenait aux réunions des petits anars de Noisy-le-Sec. C'était là que leur quartette de noces et banquets s'installait pour les répétitions hebdo, dans un hangar fermé par des traverses de voie ferrée qui existait encore vers les années 30.
Rien des crapulars sardoniques. Plutôt des marrants, aux idées "avancées". Et trois quarts de siècle plus tard les idées restaient toujours tellement avancées que le peloton n'avait jamais pu ramarrer l'échappée.


Édité chez Stock en 1945, une date qui en valait bien une autre pour un ouvrier qui n’avait pas d’ambition littéraire, Travaux est le premier livre de l’œuvre discrète mais sûre de Georges Navel. Il était préfacé par Paul Géraldy, avec qui Navel s’était lié à la faveur de quelques travaux manuels qu’il avait effectués chez lui. On songe avec amusement à la rencontre improbable entre ce dramaturge à succès de la bourgeoisie de l’entre-deux-guerres et cet ouvrier cultivé à l’esprit libertaire qui, à l’époque installé dans le Haut-Var, s’était fait apiculteur après avoir exercé mille métiers entre le Nord et le Sud, l’usine et la campagne. Juste avant la guerre, Navel avait donné des articles à L’Humanité et à Commune. Encouragé par Géraldy, Navel écrivit Travaux à partir des notes qu’il avait couchées dans des cahiers au fil de ses déplacements. Suivront les récits autobiographiques Parcours (1950), Chacun son royaume (1960) et plus tardivement Passages (1982), tous dans l’esprit de Travaux, et surtout Sable et limon (1952), ouvrage composé de lettres écrites au philosophe Bernard Groethuysen. (c)François Ouellet
Un des livres les plus beaux inspiré par la condition ouvrière. Travaux, paru au lendemain de la guerre, en 1945, est tout de suite devenu un classique. Les critiques ont comparé Georges Navel à Gorki, à Panaït Istrati, à Eugène Dabit, à Charles-Louis Philippe. Mais Navel fait entendre une voix qui n'appartient qu'à lui. Comme l'a écrit Jean Giono : «Cette patiente recherche du bonheur qui est la nôtre, nous la voyons ici exprimée avec une bonne foi tranquille.»

Encore un écrivain prolétaire dans mon panthéon des écrivains prolétariens. Ça commence vraiment à devenir une habitude… 
C’est un formidable roman sur la condition ouvrière, sur la condition humaine, où, par sa poésie et son écriture, Navel magnifie le travail manuel, ses joies et ses peines, la chaleur humaine, la camaraderie, les plaisirs partagés… Mais c’est sans compter sur la solitude, l’enfermement insupportable et un certain désenchantement par moment néanmoins non dénué d’une lueur d’espoir…
On suit avec plaisir son enfance, sa scolarité, son apprentissage très tôt d’ouvrier, les guerres traversées, ses divers métiers exercés à travers la France : ouvrier dans la métallurgie, manoeuvre sur les chantiers de construction, cueilleur de fruits, jardinier, terrassier… 
Un grand livre par un homme qui s’est « improvisé » écrivain. (Un chef-d‘œuvre?)
C’est le pendant du livre sur la condition paysanne « La vie d’un simple » d’Emile Guillaumin !
Ma mère m'a eu à quarante-sept ans. Je l'ai toujours connue comme une mère, comme une femme dont la beauté ne compte pas, mais seulement la bonté, la chaleur, la main à tartines. J'étais son treizième. Je l'ai toujours vue comme si elle avait eu soixante ans, comme toutes les vieilles femmes du village, les mères vertes et actives, sans jamais la confondre avec les grand-mères édentées, grondeuses, assises tout le long du jour avec leurs mains noueuses sur les genoux.
Dans le village on ne disait jamais d'une femme qui avait des enfants "madame" mais "la mère". Toutes les mère se ressemblaient. C'étaient des femmes à rides et à larmes. Leurs mains tannées sentaient l'ail. La mienne avait beaucoup pleuré, elle avait des lacs de larmes derrière ses lunettes, mais le reste du visage, du front à la bouche, continuait de sourire, la voix aussi.

Qu'il soit fermier, éleveur ou manœuvre, tout ça n'est rien. la raison d'être d'un homme réside dans ses aspirations et non pas dans les rôles auxquels la vie le pousse. Cette étoile signifie l'amour de l'humanité.

Je savais maintenant qu'on est sur la terre pour gagner seulement sa croûte, que la vie ne répond pas à cette attente de merveilleux qui donne aux enfants envie de grandir plus vite.

Le travail ne justifie rien. Le travail justifie le charron dans un village. Incontestablement il voit les services qu'il rend. Il justifie l'artisan, le menuisier, le plombier, l'ébéniste qui voient la tête de leur client. Il ne justifie pas le travailleur de la grande industrie qui produit pour la guerre ou pour les besoins de luxe de la classe privilégiée, qui produit une pièce en ignorant où elle va dans l'ensemble de la machine.
On peut supporter sa vie sans la justifier, mais pas seul. C'est trop pénible. Il faut une mère, une femme, des enfants, être dans des liens, cesser de réfléchir. La solitude sentimentale ne convient qu' à l'homme usé.

Après le large des champs, le large de la vie en été, j'ai du mal à comprendre le goût des civilisés, les singes, pour la possession des villas inhabitées, pour la nature ridiculement mise en plis derrière des grilles et des serrures.
La neurasthénie fleurit, l'homme est l'ennemi de l'homme.

J'admirais les terrassiers, assez fiers de leur métier pour en porter le costume en ville. De la poche de leur colletin dépassait un journal, l'Humanité le plus souvent, le Populaire, le Libertaire.
Ils habitaient la plupart en banlieue, parce qu'on s'y loge à meilleur compte qu'à Paris et qu'ils pouvaient avoir un bout de jardin, trois poireaux, deux poules, une caisse à lapins. Ils venaient de la ceinture rouge. Ils élisent des maires et des députés communistes. Ils les nomment par leur prénom. Leurs représentants sont pour eux non des chefs mais des copains. S'ils ont la bosse de l'admiration, elle s'allie au penchant à l'égalité. Je ne vois pas devant qui aurait pu baisser le regard, l'ancien marin notre délégué. Il aurait tutoyé le pape s'il l'avait rencontré. C'est une conviction chez eux que l'homme n'est jamais qu'un homme sous n'importe quel costume. Le beau parler ou les discours les éblouissent, ils ne sont pas sans reconnaissance pour la musique des paroles. Mais si l'on en tire trop vanité, si on se met au dessus d'eux, ils retrouvent leur fond. Ils savent qu'eux aussi, en allant aux écoles, auraient pu faire figure plus avantageuse. Ce ne sont pas des humiliés. Quand on leur porte mépris, ils peuvent le rendre.

En cueillant, je forçais pour être toujours éveillé, jamais inconscient. La vie est un don. Je voulais toujours être à la fête. je m'occupais à donner à mes mains le maximum d'habileté, ne faisant aucun geste sans que l'attention n'y participât.
à suivre ?...

mardi 5 mars 2019

En gagnant mon pain - Maxime Gorki

Présentation de l’éditeur
En gagnant mon pain (1916) est le volume central d’une trilogie contrastée, commençant par Enfance (1913-14) et se terminant par Mes universités (1923). Même si la dimension autobiographique assure la cohérence de l’ensemble, les conditions de la rédaction façonnent nettement la vision rétrospective. Le premier livre a été conçu à Capri, dans le temps d’un exil glorieux : le suivant, écrit en Russie, où l’auteur est rentré après une amnistie proclamée par le tsar, a été marqué par la guerre et l’installation du régime soviétique, enfin, le dernier volet est mis au point à l’étranger alors que l’homme entretient une relation ambivalente avec la jeune révolution, est simultanément en amitié et en intimité avec Lénine. La visée de la critique sociale n’a donc plus la même pertinence, et l’histoire elle-même ne se déchiffre ni ne s’interprète selon les mêmes critères. L’adolescence décrite dans En gagnant mon pain, laborieuse, impécunieuse, sentimentalement aride, est éclairée par la découverte de la littérature, récits populaires, ou récits plus substantiels comme ceux de Balzac et de Flaubert. L’ensevelissement dans les textes devient le moyen d’échapper à la souffrance quotidienne, détermine en outre le désir d’écrire. Orphelin depuis longtemps, l’écrivain a pu dire «Les livres, dans ma vie, ont remplacé ma mère». Cet investissement traduit une curiosité qui sera continuellement contrecarrée par la nécessité : travailler, travailler pour survivre. Si Enfance constitue une véritable référence, il n’en va pas ainsi des autres romans : cette publication tâche de restituer une oeuvre dans son mouvement complexe, afin de battre en brèche certains jugements liés à l’indéfinition du fragment.

J’ai bizarrement moins accroché que pour "Enfance" mais c’est tout de même un beau roman d'apprentissage, un joyaux dans sa description de la nature, des mœurs russes des pauvres gens et une déclaration d’amour au livre, dans un style cristallin, sans aucune lourdeur ; j’insiste sur la qualité de l’écriture. Se lit d’une traite. Une sorte de "Factotum" (Bukowski) à la russe. A saluer le travail remarquable du traducteur qui a su rendre la prose limpide (manque peut-être des notes en bas de page pour nous éclairer sur les coutumes et croyances russes). Mais la qualité de l’impression laisse à désirer malgré le prix de l’ouvrage ; caractères mal imprimés, manquant, déteignant/un peu flou  parfois...

«[…] Mon enfant, dit-elle, oublie ce que racontent les livres ; ils mentent, les livres ! » p.65

«[…] La femme, c’est une force ; elle a trompé Dieu Lui-même, oui, parfaitement ! (…) C’est à cause d’Eve que tout le monde s’en va en enfer, oui, parfaitement ! » p.92

«[…] le travail de l’esprit, pendant l’enfance, creuse dans l’âme des plaies si profondes que, parfois, elles ne peuvent plus se fermer. » p.103

«[…] La seule différence entre les hommes, c’est le degré de leur bêtise. L’un est intelligent, l’autre moins, le troisième est complètement bête. Pour s’instruire, on doit lire des livres bien choisis ; la magie noire, et tout le reste ! Il faut lire tous les livres, alors on découvre ceux qui peuvent être utile… » p.124

«[…] Lorsque Dieu nous envoie sur la terre, nous sommes de stupides enfants, Il veut que nous en revenions vieillards instruits, donc il faut apprendre ! » p.165

«[…] Peut-on demander à quoi pense un homme ? Il est impossible de répondre à cette question. On pense simultanément à beaucoup de choses, à tout ce qu’on a sous les yeux, à ce qu’on a vu hier et l’année passée, et tout est confus, insaisissable, se meut et se transforme. » p.186-187

«[…] Les livres, mon ami, sont comparables à un grand jardin où il y a de tout : de l’inutile, de l’excellent et de l’agréable… (…) Les brèves leçons du pharmacien m’inspiraient une révérence toujours plus vive pour les livres ; peu  à peu ils me devinrent aussi indispensables que l’eau-de-vie à un ivrogne. » p.189

«[…] L’argent, ce n’est pas comme les gens, il n’y en a jamais de trop. » p.233

«[…] La lecture empêche les querelles et le bruit ; c’est une bonne chose ! » p.269

«[…] Ici, depuis que tu lis, c’est comme au printemps quand on enlève les doubles fenêtres et qu’on laisse pour le première fois pénétrer l’air pur (…) » p.270

«[…] Les gens s’usent et meurent, c’est naturel, mais nulle part ils ne s’épuisent avec la même rapidité terrifiante, ni aussi stupidement que chez nous, en Russie… » p.273

«[…] La gaîté, chez nous, n’est ni spontanée, ni naturelle, il faut la faire naître, l’entretenir, l’exciter, c’est une pauvre flamme toujours prête à s’éteindre. Et trop souvent la gaîté russe se transforme d’une manière inattendue et insaisissable en un drame féroce. L’homme danse comme un captif briserait ses liens, et soudain, libérant en lui le fauve le plus cruel, il se précipite en brute sur les autres et il mord, déchire et anéantit… » p.276-277

«[…] Etre bon, c’est ce qu’il y a de plus facile pour les paresseux ; la bonté, mon garçon, ça ne demande pas d’esprit. » p.313

«[…] on a beau se démener, on peut espérer ce qu’on veut, mais personne n’échappera au linceul et à la tombe ! » p.313

«[…] Qui suis-je ? Un être humain. Et l’autre, qui est-il ? Un être humain aussi. Alors quoi ? Dieu exigerait-il de lui ou de moi un impôt différent ? Non, nous sommes tous égaux devant Dieu… Il faut que nous soyons égaux dans la vie. » p.320

Maxime Gorki, En gagnant mon pain, Editions  L’Harmattan/Les Introuvables.

dimanche 24 février 2019

Un très bon début d'année 2019... #1

Pour faire mentir K. qui pense que je finis très peu mes lectures... :D

Testé et Approuvé !


Il s'est planté sur le marché de Tel-Aviv, un panneau autour du cou : À vendre - Piotrus - vêtements compris Mme Zinn n'a pas hésité longtemps : malgré son triste état, l'homme fera parfaitement l'affaire. Il aura la tâche de s'enfermer dans les toilettes tout le jour pour empêcher ses locataires d'y entrer et les pousser ainsi vers la sortie. Un volume d'encyclopédie suffira à l'occuper. Que faut-il avoir subi, qu'attend-on de la vie et de soi-même pour accepter ainsi de lier son sort à celui d'un trône interdit aux voisins? La jeune Batia qui, de temps à autre, vient le tirer de son néant et l'ensorceler le sauvera-t-elle de sa tentation du gouffre? Tragi-comédie sans pareille imaginée par un Polonais, héritier de Schulz et Gombrowicz, réfugié en Israël, farce philosophique composée dans un style syncopé, Piotrus est un roman inoubliable, météorite noire et brûlante qui classe son auteur inconnu dans la caste maudite des visionnaires de son siècle. 


Un roman très court, grotesque, absurde, loufoque, politiquement incorrect, mais avec un humour noir grinçant, provocant jusqu'au sordide, dans un style au scalpel... La deuxième partie, plus «classique», m'a moins passionné.
Extrait 1
Extrait 2


Cookie Mueller est née en 1949, à Baltimore, dans une famille de la classe moyenne américaine. Après un détour par le San Francisco hippie, elle devient une des actrices fétiches du réalisateur John Waters dont l’univers décalé colle parfaitement au sien. Elle est une figure incontournable de l’underground new-yorkais des années 70 et 80. Actrice, écrivain, danseuse, critique d’art, c’est une touche-à-tout de génie qui est de toutes les fêtes. Elle meurt du SIDA en 1989.
Devant l’objectif des plus grands photographes, des plus grands cinéastes, elle excellait à être simplement Cookie. L’inoubliable, la touchante Cookie Mueller, égérie de l’avant-garde new-yorkaise des années 70 et 80. Lors de soirées devenues mémorables, elle exerçait ses fabuleux talents de conteuse. Tous se délectaient de ses aventures extraordinaires, de ses souvenirs de l’époque où elle était la bad girl du lycée jusqu’à ses anecdotes de tournage avec John Waters, en passant par les épisodes sa vie californienne, lorsqu’elle côtoyait Janis Joplin ou un certain Jim Morrison. Et quand un jour, elle s’est enfin décidée à mettre tout ça par écrit, on s’est aperçu qu’un écrivain était né. Quel style, quel naturel, quelle verve, quelle fantaisie ! Lire Cookie Mueller aujourd’hui, c’est retrouver l’insouciance, goûter la liberté, tâter de la sauvagerie, risquer la tendresse. Elle écrit « cash », comme elle a vécu. On aurait tant aimé la connaître.

Une vraie découverte ! Cookie Mueller nous conte quelques épisodes de sa vie dans l’Amérique Underground, des années 70 et 80… Passionnant, dans une style direct, vif, road-moviesque, c’est souvent déjanté, rocambolesque, un peu trash par moment mais pertinent.
Elle a surtout un vrai regard intelligent sur le monde qui l’entoure et un style toujours bourré d’humour, d'ironie… même pour narrer des anecdotes borderlines ; la drogue et une rencontre ratée avec Charles Manson, un enlèvement, une tentative de viol, un viol, un accouchement apocalyptique (mais hilarant), un film avec John Waters, une enfance douloureuse…
Bref, en 160 pages, vous avez :  "Des conseils de coiffure et des recommandations de maquillage, quelques techniques d'auto-stop, plusieurs tactiques astucieuses pour échapper à un viol, une critique de l'accouchement sans douleur, une réflexion sur l'investissement des acteurs dans le cinéma à petit budget, le récit d'un incendie et celui d'un sauvetage en mer, un guide de voyage en Italie, des trucs et astuces pour l'apprentissage du go-go dancing, une méthode de conversation avec un serial-killer, un inventaire des bons réflexes en cas d'overdose, la marche à suivre pour apitoyer un douanier, un ABC d'escalade des murs de Berlin-Ouest, et la plus déchirante des lettres d'adieu".
C’est tellement  une conteuse géniale, tellement un réel plaisir de lecture, que j’en aurais bien lu le double !
Mais, heureusement, je viens de découvrir que les éditions Finitude vont très bientôt sortir une nouvelle fournée : « Comme une version arty de la réunion de couture ».
Pour public averti.
On étaient prêtes à manger de la merde, à prendre feu, à baiser des poules, mais on ne nous ferait pas montrer nos chattes en gros plan. Fallait bien qu'une ligne soit tracée quelque part.
"Moi, je dois montrer ma bite, a dit David.
- Mais il y aura un cou de dinde noué autour, répliqua Mink, ça ne compte pas.
- Elizabeth va montrer ses nichons et sa bite, David. De quoi tu te plains ?" est intervenu Divine, ce qui nous a tous mis d'accord.


Ce livre n'est pas un roman. Ici, nulle place pour l'imagination. La zone d'une grande ville, des baraques, le terrain vague, les cris, les coups, la crasse, l'alcool, la sexualité, la brutalité et l'ignorance, la perversité, les jeux cruels des enfants désœuvrés, tout est vrai. Vrai, aussi, le personnage du maître d'école, cherchant à leur donner le goût et l'ambition de la dignité humaine. "Je n'ignore point, dit l'auteur, que ces pages n'ont de valeur qu'en vertu de l'émotion qui, si toutefois j'y réussis, doit sourdre de cette succession de scènes, de faits, tous réels que j'ai dépeints." Salué comme une révélation en 1952, Requiem des innocents est le premier livre de Louis Calaferte. Il garde aujourd'hui toute sa virulence et demeure un des grands cris de révolte contre la misère et l'injustice du monde moderne.

Un choc ! Une sorte de « Mort à crédit » anorexique (200 pages au lieu de 600) mais en plus dur, plus cruel, plus troublant, plus choquant, plus cru… (Avec cette scène de quasi viol/dépucelage dans un dépotoir). Même si, comme pour « Mort à crédit », il est permis de douter de la véracité autobiographique du récit. Un vrai écrivain « célinien », avec ce même goût de l’aphorisme, du bon mot, de la petite phrase…
Pour public doublement averti.

"La boisson c'est l'hostie du pauvre."

"On ne lisait pas chez nous. Ni les revues ni les journaux. On avait assez à faire de vivre. Ça nous prenait tout notre temps."

"Mon frère Lucien fit mieux : il ne céda pas au fil de laiton destiné à le tuer dans l'oeuf. Il se contenta de naître idiot."

"Pas savoir parler, c'est la fin de tout."

à suivre...

mardi 12 février 2019

Le Jardin des supplices - Octave Mirbeau

Présentation de l’éditeur
Le Jardin des supplices n’est pas seulement le catalogue de toutes les perversions dans lesquelles s’est complu l’imaginaire de 1900. L’ouvrage exprime aussi l’ambiguïté de l’attitude d’un Européen libéral, mais Européen avant tout, devant le colonialisme et ce qu’on n’appelait pas encore le Tiers Monde. Pour Mirbeau, la Chine est le lieu des plaisirs mortels et, par leur système pénal et l’invraisemblable raffinement de leur cruauté, les Chinois ne peuvent être à ses yeux que des barbares : Emmanuelle sur fond de guerre du Viêt-nam, comme l’écrit Michel Delon. Mais les Chinois vivent dans une société plus solidaire et matériellement moins asservie que la nôtre. Et surtout ils sont d’admirables artistes. Tel est le paradoxe de la Chine : un jardin de supplices mais aussi les plus belles porcelaines, les plus beaux bronzes que l’on ait jamais faits. " Voici donc les Barbares à peau jaune dont les civilisés d’Europe à peau blanche violent le sol. Nous sommes toujours les mêmes sauvages, les mêmes ennemis de la Beauté. "

C’est, je pense, plus une fix-up novel (des articles ou nouvelles misent bout à bout) qu’un réel roman. Trois parties se détachent : l’Homme a le meurtre dans le sang (discutions dans une assemblée), puis, critique de la politique et des politiciens (préparatif au voyage), et enfin, le Jardin des supplices (le « voyage » proprement dit). Mirbeau a vraiment une prose admirable et très ironique voire sarcastique, à prendre au troisième degré ; on ne pourrait certainement plus se moquer des politiciens comme il s’en moque ! Le Jardin des supplices est très beau en description florale et en horreur en tout genre ; aucune description de tortures ne nous est épargnée... Mais la lassitude, pour moi, vient de l’accumulation des noms de fleur ; pour un non botaniste, ce n’est pas facile de s’y retrouver. Cela reste cependant un texte très agréable à lire et souvent très drôle. Peut-être pas le premier livre pour commencer avec Octave Mirbeau.

« Prendre quelque chose à quelqu’un, et le garder pour soi, ça c’est du vol… Prendre quelque chose à quelqu’un et le repasser à un autre, en échange d’autant d’argent que l’on peut, ça, c’est du commerce… Le vol est d’autant plus bête qu’il se contente d’un seul bénéfice, souvent dangereux, alors que le commerce en comporte deux, sans aléa… » p.74

« Pour un homme d’Etat, il n’est qu’une chose irréparable : l’honnêteté !… L’honnêteté est inerte et stérile, elle ignore la mise en valeur des appétits et des ambitions, les seules énergies par quoi l’on fonde quelque chose de durable. » p.93

« Notre escorte était nombreuse, en grande partie formée d’Européens… des Marseillais, des Allemands, des Italiens… un peu de tout… Quand on avait trop faim, on abattait un homme de l’escorte… de préférence un Allemand… L’Allemand, divine miss, est plus gras que les autres races… et il fournit davantage… Et puis, pour nous autres Français, c’est un Allemand de moins !… L’Italien, lui, est sec et dur… C’est plein de nerfs…
- Et le Marseillais ?… intervins-je…
- Peuh !… déclara le voyageur, en hochant la tête… le Marseillais est très surfait… il sent l’ail… et, aussi, je ne sais pas pourquoi, le suint… Vous dire que c’est régalant ?… non… c’est mangeable, voilà tout… » p.115

«[…] en quoi consiste la guerre ?… Elle consiste à massacrer le plus d’hommes que l’on peut, en le moins de temps possible… Pour la rendre de plus en plus meurtrière et expéditive il s’agit de trouver des engins de destruction de plus en plus formidables… C’est une question d’humanité… et c’est aussi le progrès moderne… » p.121

«[…] arriver quelque part, c’est mourir !… » p.129

« Mais regardez donc !… La fleur n’est qu’un sexe, milady… Y a-t-il rien de plus sain, de plus fort, de plus beau qu’un sexe ?… Ces pétales merveilleux… ces soies, ces velours… ces douces, souples et caressantes étoffes… ce sont les rideaux de l’alcôve…. Les draperies de la chambre nuptiale… le lit parfumé où les sexes se joignent… où ils passent leur vie éphémère et immortelle à se pâmer d’amour. Quel exemple admirable pour nous ! » p.214

« Ce n’est pas de mourir qui est triste… c’est de vivre quand on n’est pas heureux… » p.220

Octave Mirbeau, Le Jardin des supplices, Editions  Gallimard/Folio - 338 pages dont une centaine de pages de préface, notes, biographie, ...

samedi 2 février 2019

L’accro - Donald Goines

Présentation de l’éditeur
"Assis dans son énorme fauteuil, il regardait les drogués aller et venir. Ils le distrayaient ; même si ce n’était pas leur intention, ils le divertissaient. Quand ils entraient chez lui et le suppliaient de leur faire crédit, il en éprouvait un sentiment de puissance. Avec les femmes, c’était encore plus fort. Dès qu’elles manquaient d’argent, son esprit diabolique, pour se divertir, leur proposait des actes toujours plus inédits et monstrueux."
Récit de la terrible descente aux enfers d’une jeune Black, superbe roman noir dans la lignée de Goodis, L’accroc, en grande partie autobiographique (et quelle vie !), est d’une telle trempe qu’il ne pouvait être l’œuvre que d’un très grand écrivain. 
Donald Goines (1937-1974) a grandi dans le ghetto de Detroit. Formé à l’école de la rue, militaire en Corée puis au Japon, il découvrira la littérature en prison après avoir braqué une banque à l’âge de dix-huit ans. Toxicomane, maquereau, dealer et trafiquant, Goines est mort abattu chez lui de plusieurs balles dans la tête. 

... De plusieurs balles dans la tête... Pour un échange de drogue qui aurait mal tourné... La rumeur insinuait que tous ses droits d'auteur finissaient directement dans ses veines...

L'accro raconte l'histoire d'un toxico qui décide de rendre sa copine dépendante pour être certain de toujours avoir sa dose. Il sait qu'il pourra toujours tirer un peu de poudre du commerce de son corps lorsqu'elle sera en manque et le livre raconte cette déchéance...
Un roman noir de chez noir sur l’enfer de la drogue. Tout y est. Plus âpre que «Ne mourez jamais seul» du même auteur. Très bon premier roman (1971), sans concession, sans espoir, sans manichéisme, ni moralisme. On est loin des drogués présentés comme des joyeux drilles chez Philip K. Dick. Ici, tout est sale, glauque, sordide. Tout le cheminement vers la dépendance à la drogue y est disséqué ("l’algèbre du besoin" chère à William Burroughs). Quelques longueurs cependant. Pour adulte très averti avec l'estomac en acier trempé.

"Elle sentait l’héroïne agir. Elle se détendit et contempla le plafond tandis que la chaleur lui inondait l’âme. C’était comme si elle partait à la dérive dans une mer d’écume. Peu après l’écume l’enveloppa dans une brume bienfaisante et le cadre sordide qui l’entourait devint une illusion. Son univers était à présent un monde de rêves dépourvu de peurs et agréable aux sens. Tant que durerait la drogue qu’elle avait sur sa commode, elle planerait dans un temps infini, sans limites, sans se soucier du passé ni de l’avenir."

"Je commence à comprendre que Dieu bénit l’enfant qui a déjà tout."

"Le dealer avait été différent, mais la technique semblable. Quand ils se rendent compte qu’on est vraiment accro, il n’y a plus d’échantillons gratuits."

"(...) on peut pas truander tout le monde toute une vie. T’en possèdes certains et y en a d’autres qui te possèdent."

"La poudre blanche avait l’air sans danger, ainsi étalée à l’air libre, mais il s’agissait de la drogue des damnés, de la malédiction de l’humanité. Si l’héroïne a des noms divers – les uns l’appellent «smack », d’autres la «blanche», le «cheval», le «tigre», le «poison» –, elle a toujours le même effet. Pour tous ceux qui en consomment, c’est la mort lente."

"Certaines personnes étaient ainsi destinées à être grosses. En prenant de l’âge il réalisa que bien des gens le craignaient simplement à cause de son physique. Il admettait lui-même qu’il ressemblait à un gorille. Mais ce qui lui procurait un réel plaisir, c’était la frayeur qu’il inspirait aux femmes. Lorsqu’il la voyait se manifester, ça l’excitait plus que toute autre chose. Rien ne lui plaisait davantage que de coucher avec une femme pétrifiée de peur."

Donald Goines, L’accro, Editions Gallimard/Folio Policier - 248 pages
Donald Goines

vendredi 11 janvier 2019

Le vin des rues - Robert Giraud

Présentation de l’éditeur
Robert Giraud n’est pas sérieux, c’est ce qu’en dit Robert Doisneau. Robert Giraud traîne sa silhouette le long des quais, renifle l’odeur de céleri des Halles et brûle ses nuits au bistrot. Chez Fraysse ou chez Paulô, assis au zinc devant un beaujolais, il raconte les histoires d’un Paris perdu, d’un Paris insolite sur le ton d’une simple conversation et avec le langage des rues mal éclairées. Dans ces histoires qui n’ont pour thèmes qu’amour, argent et honneur s’illustrent des personnages, écorchés et mythiques. Mais ne subsiste finalement qu’un acteur : le vin, sérum de vérité, qui délie les langues.
Robert Giraud, provincial de Limoges destiné à une carrière de notaire monte à Paris au milieu des années 40 et choisit une voix différente, celle de l’aventure. Poète, journaliste, écrivain et lexicologue, il est l’auteur de plusieurs ouvrages parmi lesquels Le Vin des rues (1955), qui obtient le Prix Rabelais et Le Royaume secret du Milieu (1969), consacré au royaume d’argot, à son peuple et à ses coutumes. Ami de Doisneau et Prévert, qu’il fréquente au bistrot, il est un explorateur du Paris by night tel qu’il ne sera plus.

C’est une succession d’historiettes, de tranches de vie, d’anecdotes de bistrots de la faune parisienne des années 40-50, par notre Bukowski national, j’ai nommé : Monsieur Bob… enfin, toute proportion gardée et en moins égocentrique ; le narrateur s’effaçant pour se concentrer sur l’essentiel : un portrait, un tableau, souvent tendre, des marginaux et des laissés-pour-compte, kaleidoscope bigarré de tronches en tous genres dans une gouaille argotique savoureuse ; les prostituées, celle qui se prostitue en achetant ses poireaux, le vendeur de tabac qui récolte les mégots, les clodos sous la voûte céleste, les piliers de bar, les voleurs à la petite semaine, l'habitué des bordels qui se fait payer son billet de retour par les mêmes qui lui ont vidé les "bourses"... C’est vraiment un livre que l’on descend comme une bonne bouteille de Saint-Emil'… Mais il faut tout de même avoir de l’estomac... Moi qui suis 100% Chti, et "ignare" (à l'époque de ma lecture), je ne connaissais pas du tout cette "mythologie" parisienne, que je croyais réservée à l’autre côté de l’Atlantique ; tous ces personnages si atypiques rendus si chaleureux par Mister Bob d'un Paris maintenant disparu et complètement oublié… Pour information, le titre est de Prévert et a été utilisé aussi pour un vrai bistrot de Paname...

" Comme dans n’importe quel métier d’homme, la nuit a ses apprentis, ses voyageurs, ses traînards, ses égarés, ses disciples, ses pigeons, ses figurants… Le bistrot est là, premier échelon à franchir, et auquel on ne résiste pas. Pourquoi lui résister, après tout. Depuis la fermeture des bordels, le bistrot est ouvert la nuit. Le solitaire a beau être un solitaire, le bistrot-tabac, telle une fille, cligne l’œil rouge de sa carotte, et son appel ne laisse jamais insensible, et puis il faut en passer par là. (...)Hommes de la nuit, ils sont là, faciles à voir, à reconnaître, du plus petit au plus grand, traînant tous les rades les uns après les autres comme si la farce était réglée à l’avance. Une lumière s’éteint, une autre s’allume et la remplace. La nuit a quelquefois aussi ses heures de fermeture. C’est ce qui est grave, le tout est d’en profiter au maximum, après on verra. "

" On but une longue gorgée avant d'allumer les cigarettes. Papillon qui avait chaud d'un revers de main remonta la visière de sa casquette qu'il ne quittait jamais et pour cause, elle lui servait enfoncée jusqu'au yeux à masquer le papillon, ailes déployées, qu'il s'était fait tatouer au milieu du front en correctance. C'était sa raison sociale : comme lui je vole, ça voulait dire tout simplement. "

" Quelques mois avant sa mort, nous embauchâmes Fréhel la Grande pour venir chanter ses vieux succès. (...)En pantoufles sur des socquettes de laine rouge, en jupe noire plissée de fille des Halles, poings sur les hanches, dans un coin de la piste elle regardait la salle puis se tournait vers l'accordéoniste.
- Vas-y, minet vert... "

" Ces rêveurs des rues sont morts en même temps que leur ville, car de Paris aujourd'hui, il n'existe plus guère qu'une cité vidée de ses entrailles. "

" Les amoureux de Paris sont des Sioux sur le sentier de guerre, la cigarette qu'ils allument parfois, ver luisant entre ciel et terre, indique le chemin du retour. "

D'autres extraits ICI et ICI.

Robert Giraud, Le vin des rues, Editions Stock/Ecrivins - 246 pages, au format d'une bouteille de pinard.
Robert Giraud dit Monsieur Bob

Sur le pouce...

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mercredi 5 décembre 2018

Les coups - Jean Meckert

En ces temps de fronde, de condescendance politico-bourgeoise, de #BalanceTonPorc et autre #MeToo, je me permets d’exhumer de ma bibliothèque ce livre de Jean Meckert : Les coups. Il figure en bonne place dans mon Top 100... Une certaine cohérence dans mes lectures passées/présentes/futures…
Un écrivain quelque peu oublié (même par moi) qui deviendra un des piliers de la Série Noire sous le nom de Jean Amila.

Aux abords des années 30, Félix est un petit gars, manoeuvre de son état dans un atelier de mécanique, pas bien fute-fute, peu d’éducation, des difficultés pour s’exprimer, pour trouver ses mots…
“Bientôt l’hiver est venu, la vache, pas tellement en froidure mais en morte-saison. On se demandait toujours si Parmain la prendrait sa fameuse décision énergique de foutre la moitié du monde en chômage pendant que les voitures ne sortent pas.
On vivait des accidents. A nous les pare-chocs maladifs, les caisses défoncées, les ailes gondoleuses, les marchepieds emboutis, les capotes déchirées ! A nous le verglas et les dérapages ! Un bon point aux apprentis ! Un triple ban aux défonceurs de becs de gaz ! Une tournée générale aux chauffeurs de taxis ! Tant qu’il y avait de la case, il y avait de la vie.”
Son désarroi gonfle d’être incompris ou de mal comprendre...
“Je me trompe peut-être, mais je n’aime pas les gens qui causent. Tout comme la mode est faite pour les gens qui n’ont pas de goût, la causette c’est le paravent de ceux qui n’ont rien dans le ventre, c’est la grande recherche de l’impasse qu’on baptise infini, c’est la grande tromperie civilisée, ce qu’on aperçoit du dehors, du monté à graines, du loupé.”
Là, Félix rencontre Paulette, malheureuse et mariée…
Paulette quittera son mari pour lui…
“Nous deux, c'était tout, et puis merde pour tout le monde.”
Félix rencontrera sa belle-famille, modeste, mais qui a des velléités de petite bourgeoisie...
“À la fin, il accaparait tout, Henri, un bavard fini. Seulement il en avait vite fait le tour de ce qu’il connaissait. Il reprenait toujours d’autres mots et d’autres variantes, comme s’il était absolument indispensable de ne pas laisser une seconde sans paroles. Moi je m’emmerdais. Je lui faisais des signes discrets, à Paulette, elle ne voyait rien, elle était dans son élément. Elle faisait du charme, assise sur le bord d’un fauteuil, elle parlait aussi sans bafouillis, les phrases lui venaient, coulantes et faciles… Ça m’impressionnait.”
Une belle-famille qui se moquera de lui, de son “handicap” de ne pas savoir mettre de mot sur ses goûts, sur ses idées, sur son mal de vivre, de son problème à communiquer (comme, il me semble,  au début de “Martin Eden” de Jack London). Sa belle-famille, elle, a les bons mots, les mots justes, mais ils sonnent creux…
“Ils passaient leur vie à ne rien dire, mais bon Dieu ils le disaient bien.“
Alors, lors de conflit, Félix va cogner Paulette au bout du désespoir, il va la frapper car le dialogue ne suffit plus, il n’a plus que ça pour se faire comprendre !…
Quand le trop peu de mot ne suffit plus… quand on ne sait plus quoi dire… quand les coups remplacent le langage…
Comment en est-il arrivé à battre sa femme ? Comment est-il passé d'un amour romantique aux coups ?...
"On s'aimait, on le sentait bien, mais il y avait l'amour-propre, ce chiendent, qui faisait sa grande offensive."
Ce premier livre, publié en 1941/42, acclamé par André Gide, Raymond Queneau et Roger Martin du Gard, est sûrement son chef-d'oeuvre.
“On était assis confortablement dans les petits fauteuils rouges. Ce qui gênait c’était plutôt la chaleur, l’obscure et forte, exténuante, qui foutait la sueur au front et aux fesses. Tous en choeur au petit ciné, on macérait, on se dégraissait sur la chemise, dans des rivières de dessous de bras. Sueur, fumée, mélange scientifique, délébile, l’absolu du parfum, le plus robuste, le repousse-mites, on communiait là-dedans, frères baptistes de passage.”
Dans une langue populaire, “populiste”, qui ne manque pas de poésie, au plus près de son “héros”, en adéquation avec son sujet (comme pouvait l’être la langue dans "Des fleurs pour Algernon" de Daniel Keyes par exemple), et dans une langue, disons-le, très célinienne (voire ajarienne (Emile), mais 40 ans avant), Meckert décortique son sujet de prédilection : l’incommunicabilité entre les êtres.
“Il y avait un peu de paresse dans mon cas : je laissais tomber. Tout le drame avec Paulette ça vient peut-être de là, que je lui ai laissé croire à mon vide, que je n’ai jamais eu le courage d’affronter le ridicule de ma pensée toute nue, sans passer par les clichés aux autres…. J’ai peut-être eu tort de toujours vouloir éteindre la lumière.”
Par le truchement de Félix, Meckert dénonce la condition sociale, les relations conflictuelles au travail, l'ambition écrasée par l'absence d'ascension sociale, les bonheurs au rabais...
“– Dis, mon chéri ! T’aimes mieux lui, ou l’autre ? Et qu’est-ce que tu penses de cette petite-ci ? Et de ce grand-là ?...
Graves discussions de plain-pied, sans douleurs, sans effort. Du vrai travail sans filet. Ça aidait à vivre, au fond. C’est rien que ça, la vie, des riens dont se fait un monde.”
Il fustige également la petit bourgeoisie et les faux semblants...
“– Concessions au public... Italianismes... Vulgarités..., me renseignait Paulette, très sûre d'elle.
 – Pardon, pardon ! répliquait Auguste qui admirait solidement... Musique populaire !... Inspiration mélodique !... Succès certain !... Trois mille représentations !...
On sentait nettement qu'ils avaient lu des notices différentes. C'étaient leurs opinions ! Ils se seraient fait hacher sur place pour défendre" leurs" idées !”
Bref, ce n'est en aucun cas un roman Harlequin ! ;-)

Jean Meckert, Les coups, Editions Gallimard/Folio.
Jean Meckert (c)R.Parry

dimanche 11 novembre 2018

Vivre en survivant : Démission, Démerde, Dérive - Jacques Sternberg

1977
2017
Je recopie ici la présentation de l’éditeur qui est, il me semble, une assez bonne entrée en matière: 
« Quand on m’a demandé de définir mon art de vivre, ou plus exactement de mettre le doigt sur ce qui pouvait passer pour mon « plaisir de vivre » je n’ai pas hésité plus d’une minute avant d’opter pour le superflu, l’inutile, le pas rentable, la vraie gratuité. Parce que le superflu m’a toujours paru le sel de la vie et que seuls les charmes de l’inutile peuvent vous aider à supporter les horreurs de l’indispensable quotidien. »
Écrivain prolifique, scénariste, anthologiste, journaliste, navigateur à voile et à solex, fondu de jazz et de dessins, ours acariâtre, dragueur impénitent, Jacques Sternberg (1923-2006) est un des très rares maîtres français de l’humour noir, dans la lignée d’un Bierce ou d’un Cioran.

“Très rares maîtres français de l’humour noir”, pas mal pour un belge !
Car oui, Jacques Sternberg était belge même si il vécut la majeur partie de sa vie à Paris.
Mais qui connaît encore Jacques Sternberg ?
Jacques Sternberg ? C’est qui ? C’est quoi ?
C’est une soixantaine de livres dont plus de 1500 contes (Contes glacés, 188 Contes à régler, Histoires à dormir sans vous, Histoires à mourir de vous, Contes griffus, 300 contes pour solde de tout compte…), seize romans, pièces et essais… ça vous pose un écrivain, si ce n’est un homme !
Pas mal pour quelqu’un qui se définissait volontier comme une flâneur, un dandy un peu glandeur...

lundi 11 décembre 2017

L'écorché vif...

Adorateur d'Octave Mirbeau comme d'autres sont adorateurs de Satan, je ne pouvais décemment  pas passer à côté de cette publication qui rend hommage à ce grand écrivain-pamphlétaire pour les 100 ans de sa disparition. (UN siècle déjà !)

Tout d'abord, je ne connaissais pas « Les Editions Libertaires » qui semble associer au mouvement anarchiste. J'ai été agréablement surpris par la qualité de l'ouvrage, à la couverture suffisamment rigide, au papier plutôt épais, à l'iconographie très riche et variée. Pour 15 euros, on en a pour son argent...

Pour le contenu, ce n'est pas vraiment une biographie au sens strict, mais plutôt une promenade - parfois foutraque à l'image de ses collages littéraires – au fil de sa vie, qui resitue un Mirbeau dans le contexte politique de l'époque, que ce soit l'antisémitisme, l’anarchisme ou l'affaire Dreyfus... C'est d'ailleurs l'un des seuls reproches que je fais à ce livre ; il s’appesantit trop longtemps, à mon goût, sur les mouvements anarchistes - même si cela reste très érudit et fort intéressant – et trop peu sur le personnage Mirbeau en comparaison. J'ai eu l'impression de lire parfois un traité sur l’anarchisme... (directive de la maison d'édition ?)

On y découvre, entre autres chose, un Mirbeau sensible, à l'enfance « difficile », très sensible aux femmes de petite vertu, qui fit des choix dramatiques au début de sa carrière ; comme participer à un journal antisémite pour gagner sa croûte... Et qui passa le reste de sa vie à essayer de se racheter. Il deviendra d'ailleurs un Dreyfusard de premier plan. Une sorte de Céline repenti, ce qui explique qu'il est si méconnu et invisible dans les livres scolaires...

En somme, c'est un ouvrage fort agréable à lire, très pointu, où l'auteur se permet parfois une certaine liberté de ton, une familiarité, qui détonne dans ce genre d'ouvrage.

Alain (Georges) Leduc, Octave Mirbeau : le gentleman-vitrioleur : 1848-1917, Les Editions Libertaires, 230 pages.


Souvenez-vous ! Déjà en 1888, au Figaro, il exhortait les électeur à ne pas voter :

vendredi 3 novembre 2017

Féerie pour une autre fois I & II

Présentation de l’éditeur :
“ Voici Clémence Arlon. Nous avons le même âge, à peu près… Quelle drôle de visite ! En ce moment… Non, ce n’est pas drôle… Elle est venue malgré les alertes, les pannes de métro, les rues barrées… et de si loin !… de Vanves… Clémence vient presque jamais me voir… son mari non plus, Marcel… elle est pas venue seule, son fils l’accompagne, Pierre… Elle est assise, là, devant ma table, son fils reste debout, le dos au mur. Il préfère me regarder de biais. C’est une visite embarassée… ”
Dans ce roman publié en 1952 par Gallimard, Louis-Ferdinand Céline retrace les tout derniers mois de l’occupation allemande en France et sa terrible détention au Danemark.

Une "critique" (un peu datée)...
Ce livre se décompose en 2 parties. Dans la première, Féerie pour une autre fois I, Céline expose son isolement dans sa prison au Danemark,  sa solitude, sa maladie « du cul », les problèmes avec ses « co-détenus », les « hurleurs » qui l’empêchent de se reposer. Tout cela entrecoupé de ses hallucinations, de sa paranoïa galopante, de ses délires de persécutions habituels. Puis suit une description de l’ambiance de la Butte Montmartre des années 40 avec sa rencontre avec Jules (inspiré par Gen Paul), personnage haut en couleur, artiste peintre/sculpteur « obsédé » par la gente féminine, complètement « halluciné » par Céline. 
Dans la seconde partie, Féerie pour une autre fois II (ou Normance), le « scénario » tient sur un timbre-poste : Paris subi un bombardement en 44, Paris est à feu et à sang, l’immeuble, où se trouve Céline, Lili sa femme et le chat Bébert, menace de s’effondrer d’une minute à l’autre ; ils essayent d’en sortir avec les autres habitants (en descendant l’escalier). Cette seule nuit de bombardement est décrite sur près de 400 pages ; l’action quasiment nulle est soutenue par les délires, les hallucinations, les exagérations et le style de Céline. J’avais toujours lu que c’était (Normance) le livre le plus difficile à lire de Céline (car soutenu QUE par le style) ; eh bien, j’ai englouti sans trop de difficulté ces 400 pages de purs délires céliniens, mais ai moins aimé la première partie (Féerie pour une autre fois I), que j’ai trouvé bizarrement plus confuse. Roman(s) pour célinien (« célinophile » ?!) averti !
A noter : Emile Brami défend la « thèse » que les jurons du Capitaine Haddock (Céline, Hergé et l’affaire Haddock, Éditions Écriture) serraient inspirés des insultes de Céline, serraient d’origine célinienne ; en lisant Féerie, il est très facile de trouver cela pertinent…

«[…] Il [Marc Empième] est bien plus malade que moi et il produit comme un Homère ! Moi mes maux de tête, mes insomnies me sonnent, annihilent, lui moins il dort plus il chef-d’œuvre ! […]» p.42

« La vie c’est des répétitions, jusqu’à la mort » p.48

«[…] Vous me faites chier avec Brasillach ! Il a pas eu le temps de s’enrhumer, ils l’ont fusillé à chaud ! […]» p.76

« L’histoire c’est la mémoire des faits ! » p.77

«[…] la rose est bien la fleur suprême… corbeilles, cinq à sept, couronnes, vous y coupez pas !… du berceau au Profundis la rose répond du Ciel pour vous… C’est pas à discuter, mignards, grelotteux, momies !… où y a les plus belles roses on va, on vient, on aime, on défunt… […]» p.87

«[…]
- Oh, cancer ! cancer !
Ils voulaient m’éprouver le moral !
Ni une ni deux ! mon doigt dans le cul ! je prélève ! je leur en barbouille le nez !
- Cancer ça ? polissons ! ânons ! l’odeur ? l’odeur ? sui generis ? pellagre ! corniflots ! pellagre !
Voilà l’enseignement ! » p.102

«[…] c’est des filigranes la vie, ce qu’est écrit net c’est pas grand-chose, c’est la transparence qui compte… la dentelle du Temps comme on dit… la « blonde » en somme, la blonde vous savez ? dentelle fine si fine ! au fuseau, si sensible, vous y touchez, arrachez tout !… pas réparable… la jeunesse voilà !… myosotis, géraniums, un banc, c’est fini… envolez piafs !… dentelle si fine… » p.113

«[…] le Cinéma ? (…) Tout-film  achève ! Cerveaux, porte-monnaie !… L’hypnotiseur des cavernes !… tiédeur, moiteur, peluche, branlette, orgues, ors !… La concurrence ! Vous, votre pensum, vous arrivez ! bonne mine ! Regardez clients et clientes emmoités, émerger chancelants blets des Antres, plus reconnaissant nord de sud ! de l’ouest ! se trompant de tout !… réverbères !… métros !… pantalons, jupons !…. tâtonnant ! quartiers !… sexes !… étages !… la tête pour leur derrière !… ils veulent plus que retourner s’asseoir… Ah ! mûrir encore ! bléchir plus ! blets, plus blets !… s’oublier sous eux… mûrir ! fondre… ils coulent déjà  plein les tapis… […]» p.118

«[…] l’âme humaine est pleine de poisons mal distillés… d’où toutes ces pensées encrassées… […]» p.223

«[…] C’est la vie un jus d’orange quand vous pesez plus trente kilos ! […]» p.224-225

«[…] Quand je me finirai je vais vous dire : c’est en pensant aux animaux, pas aux hommes ! (…) Je veux pas que la mort me vienne des hommes, ils mentent trop ! ils me donneraient pas l’Infini ! » p.226-227

« Je récapitule… je condense… c’est le style Digest… les gens ont que le temps de lire trente pages… il paraît ! au plus !… c’est l’exigence ! ils déconnent seize heures sur vingt-quatre, ils dorment, ils coïtent le reste, comment auraient-ils le temps de lire cent pages ? et de faire caca, j’oublie ! en plus ! […]» p.229

«[…] les touristes voient rien… croient rien… pensent rien… Ils descendent des autocars ils boivent ils remontent… « Au revoir ! monsieur ! » Les femmes qu’on viole agoniques enchaînées ligotées, les touristes les voient jamais !… C’est pourtant trois mille ans d’Histoire !… C’est un paradis le Tourisme !… » p.235

«[…] y a un paradis pour charognes aussi bien sur la terre qu’au ciel… ça meurt pas vraiment la voyoute, la saloperie, la vraie abjecte, ça passe d’un paradis à l’autre, avec fortune, boniches, autos… ça prend juste son joli billet, et youst ! absolutionnée et salut ! Ça vous chie les doigts !… c’est né pour couper aux Enfers, celui de ce monde, celui d’après… ça fait que jouir et pleurnicher… tout afur ! jamais paumé !… à la  vôtre ! bonne vôtre ! sans rancune ! on comprend trop tard… […]» p.297

«[…] question des hommes et des femmes y a que les malades qui m’intéressent… les autres, debout, ils sont tout vices et méchancetés… je fous pas mon nez dans leurs manèges… la preuve : comme ils arrangent leur cirque que c’est plus habitable, vivable, par terre, en l’air, ou dans le couloir ! encore en plus qu’ils parlent d’amour, en vers, en prose, et en musique, qu’ils arrêtent pas ! culot ! et qu’ils engendrent ! acharnés fournisseurs d’Enfer ! et péroreurs ! et que ça finit pas de promettre !… et que ça s’enorgueillit du tout ! et bave et pavane ! Y a que couchés, crevants et malades qu’ils perdent un peu leur vice d’être hommes, qu’ils redeviennent pauvres animaux, qu’ils sont possibles à approcher… […]» p.309-310

« C’est le Devoir la boussole de l’homme ! qui l’empêche de déconner… […]» p.343

« Quand on se retrouvera tous dans le trou, dans le fond d’un vide, avec des pieds dépareillés, les têtes des uns, les burnes des autres, que la Butte sera en creux de cratère… tous sous l’effondrement du Tertre, alors y aura plus d’histoires, on verra qui c’est planqué, qu’a eu des réserves de tomates, d’ananas, de gniole, d’anisette, et la peau de Bébert !  (…) l’amour et l’horreur c’est pareil… un point ça va… ça dure, c’est trop !… […]» p.403

«[…] Le monde est une boule à mirages qui dansotte sur la mauvaise foi, comme l’œuf à la foire, au tir… pensez si c’est le système fragile ! s’il faut prendre tel jet… pas tel autre ! y a mauvaise foi et mauvaise foi ! […]» p.405

« J’accepte vos critiques, vos insultes, mais à la condition expresse que vous soyez pas de ces gens qu’empruntent, resquillent, parpillent les livres ! peste de l’espèce ! si vous l’avez foiredempoigné au « prêtez-le-moi-je-vous-le-rendrai » ça serait mieux de vous taire… bien sûr, les mœurs sont avec vous !…on peut affirmer tranquillement qu’un livre ça s’achète plus, ça se vole… c’est même une sorte de « point d’honneur » de plus jamais acheter un livre. Pas un sur vingt qui vous a lu qui vous a payé ! c’est pas triste ? allez demander question jambon si une tranche peut faire vingt personnes ? si un fauteuil au cinéma tient quarante fesses ?… bonjour à vous, pauvre pillé ! écrivaineux ! encore le pire du pire peut-être c’est le mépris qu’ils ont que c’est gratuit !… la façon qu’ils abîment votre œuvre, la détestent, s’en torchent, comprennent balle, sautent fourguer ce qu’il en reste au Quai… vous me direz : y a un remède ! y a qu’à noyer les prêteurs ! emprunteurs avec ! que ceux qu’ont douillé grimacent !… soit ! l’épicier trouve tout naturel qu’on lui chine un peu son hareng… mais allez lui secouer ? la Police !… moi là, que j’aille débagouler, clowner pour rien, c’est pas l’horreur ? qu’ai tant payé !… de penser qu’on m’artiche, je blêmis, je suffoque pire qu’entre les poignes de l’ogre !… je coagule sang cœur nerfs… pire que Delphine !… je perds connaissance le mec qui s’amène : Prêtez-le-moi !… et encore tenez ! regardez ! la chaleur du récit m’emporte ! je vous file cette digression pour rien ! de la philosophie !… je vous la donne ! Muse dilapideuse salope, marre ! » p.430-431

«[…] du temps de ma grand-mère, le faux avait une odeur, maintenant il sent plus !… si il avait encore l’odeur faudrait fermer tous les Musées !… » p.441

«[…] y a pas de justice ici sur terre, y a que des comploteries… des bourbes de vices… […]» p.452

«[…] que j’étais un sale pornographe… libidineux en plus de traître, le plus outrageant du siècle !… à faire rougir les pissotières ! qu’il fallait nettoyer la France et la langue française d’un sexographe démoralisateur, dégrammeur pareil qui souillait la Patrie sacrée et son patrimoine littéraire !… que jamais ça serait plus la France si on égorgeait pas ce porc ! moi, le porc ! […]» p.538-539

«[…] c’est comme ça les catastrophes… tout vrai d’un côté, tout faux de l’autre !… […]» p.568

« On peut pas prévoir la foudre !… elle épargne ci ! volatilise là !… un mètre de plus, un mètre de moins, vous êtes envoyé aux Ethers ou il vous reste cinquante ans de bon, cinquante ans à vous rendre à Lourdes beugler miracle, racheter les bouts de cierges, les faire fondre, les offrir comme neufs, rebeugler… y a des mètres qui sont bénis, même des centimètres !… des millimètres qui valent des vies !…les friponneries de l’écorce terrestre sont pas à croire ! […]» p.580-581

«[…] Taisez-vous vieille peau ! ridée infection !… (…) trusteuse accapareuse salope ! (…) pourrie de pisse puante ammoniacale ivrognesse mouchardeuse voleuse ratonne provocatrice pire que tout !… […]» p.600

«[…] Epoustoufleur à bonniches […]» p.603

«[…] il a payé ses «phénomènes» Pline l’Ancien !… moi aussi j’ai payé un peu… y a que ce qu’est payé qui compte !… gratuit, c’est « Jean-Foutre Cie ! » blablateurs, charlatans, la clique !… aux chiots ! tous ! aux chiots !… pas écoutables !… une bande de pets !… je dis !… je dis !… […]» p.611

Editions  Gallimard / Folio - 633 pages