jeudi 31 janvier 2019

L'avis du percepteur...

L'auteur reçoit Michel Simon (L'acteur!) à déjeuner :


René de Obaldia, Exobiographie, Editions Grasset/Les Cahiers Rouges.

mardi 29 janvier 2019

L’instant où nous serons giflés...

“ Dès qu’on nous embrasse, il est bon de prévoir, tout de suite, l’instant où nous serons giflés. ”

“(…) et je chantonne ainsi qu’une raccrocheuse, quand la soirée est belle et que le trottoir donne bien. ”

“ La pudeur de la femme est un mur mitoyen. N’allez pas, imprudent, le dégrader vous-même, car il s’effritera, à la longue fera brèche, et les voisins entreront chez vous. ”

“ Le premier amour d’une jeune fille se passe en exercice, et le dernier d’une femme mûre en paroles. ”

Jules Renard, L'Ecornifleur.

dimanche 27 janvier 2019

La plus "belle" agonie de la littérature...

Céline, le chat Bébert et Bessy
Le même mystère avec Bessy, ma chienne, plus tard, dans les bois au Danemark… elle foutait le camp… je l’appelais… vas-y !… elle entendait pas !… elle était en fugue… et c’est tout !… elle passait nous frôlait tout contre… dix fois !… vingt fois !… une flèche !… et à la charge autour des arbres !… si vite que vous lui voyiez plus les pattes ! bolide ! ce qu’elle pouvait de vitesse !… je pouvais l’appeler ! j’existais plus !… pourtant une chienne que j’adorais… et elle aussi… je crois qu’elle m’aimait… mais sa vie animale d’abord ! pendant deux… trois heures… je comptais plus… elle était en fugue, en furie dans le monde animal, à travers futaies, prairies, lapins, biches, canards… elle me revenait les pattes en sang, affectueuse… elle est morte ici à Meudon, Bessy, elle est enterrée là, tout contre, dans le jardin. je vois le tertre… elle a bien souffert pour mourir… je crois, d’un cancer… elle a voulu mourir que là, dehors… je lui tenais la tête… je l’ai embrassée jusqu’au bout… c’était vraiment la bête splendide… une joie de la regarder… une joie à vibrer… comme elle était belle !… pas un défaut… pelage, carrure, aplomb… oh, rien n’approche dans les Concours !…

C’est un fait, je pense toujours à elle, même là dans la fièvre… d’abord je peux me détacher de rien, ni d’un souvenir, ni d’une personne, à plus forte raison d’une chienne… je suis doué fidèle… fidèle, responsable… responsable de tout !… une vraie maladie… anti-jeanfoutre… le monde vous régale !… les animaux sont innocents, même les fugueurs comme Bessy… on les abats dans les meutes…

Je peux dire que je l’ai bien aimée, avec ses folles escapades, je l’aurais pas donnée pour tout l’or du monde… pas plus que Bébert, pourtant le pire hargneux greffe déchireur, un tigre !… mais bien affectueux, ses moments… et terriblement attaché ! j’ai vu à travers l’Allemagne… fidélité de fauve…

A Meudon, Bessy, je le voyais, regrettait le Danemark… rien à fuguer à Meudon !… pas une biche !… peut-être un lapin ?… peut-être !… je l’ai emmenée dans le bois de Saint-Cloud… qu’elle poulope un peu… elle a reniflé… zigzagué… elle est revenue presque tout de suite… deux minutes… rien à pister dans le bois de Saint-Cloud !… elle a continué la promenade avec nous, mais toute triste… c’était la chienne très robuste !… on l’avait eue très malheureuse, là-haut… vraiment la vie très atroce… des froids -25°… et sans niche !… pas pendant des jours… des mois !… des années !… la Baltique prise…

Tout d’un coup, avec nous, très bien !… on lui passait tout !… elle mangeait comme nous !… elle foutait le camp… elle revenait… jamais un reproche… pour ainsi dire dans nos assiettes elle mangeait… plus le monde nous a fait de misères plus il a fallu qu’on la gâte… elle a été !… mais elle a souffert pour mourir… je voulais pas du tout la piquer… lui faire même un petit peu de morphine… elle aurait eu peur de la seringue… je lui avais jamais fait peur… je l’ai eue, au plus mal, bien quinze jours… oh, elle se plaignait pas, mais je voyais… elle avait plus de force… elle couchait à côté de mon lit… un moment, le matin, elle a voulu aller dehors… je voulais l’allonger sur la paille… juste après l’aube… elle voulait pas comme je l’allongeais… elle a pas voulu… elle voulait être un autre endroit… du côté le plus froid de la maison et sur les cailloux… elle s’est allongée joliment… elle a commencé à râler… c’était la fin… on me l’avait dit, je le croyais pas… mais c’était vrai, elle était dans le sens du souvenir, d’où elle était venue, du Nord, du Danemark, le museau au nord, tourné nord… la chienne bien fidèle d’une façon, fidèle au bois où elle fuguait, Korsör, là-haut… fidèle aussi à la vie atroce… les bois de Meudon lui disaient rien… elle est morte sur deux… trois petits râles… oh, très discrets… sans du tout se plaindre… ainsi dire… et en position vraiment très belle, comme en plein élan, en fugue… mais sur le côté, abattue, finie… le nez vers ses forêts à fugue, là-haut d’où elle venait, où elle avait souffert… Dieu sait !…

Oh, j’ai vu bien des agonies… ici… là… partout… mais de loin pas des si belles, discrètes… fidèles… ce qui nuit dans l’agonie des hommes c’est le tralala… l’homme est toujours quand même en scène... le plus simple...
 
Louis-Ferdinand Céline, D'un château l'autre.

samedi 26 janvier 2019

Jack London, une aventure américaine...

"Marin, vagabond, chercheur d’or, reporter et socialiste, Jack London a incarné l’aventure. Cent ans après sa mort, Michel Viotte retrace son intense parcours à travers un film très documenté.
L'écrivain Jack London (1876-1916) s’est imposé, entre la fin de la conquête de l’Ouest et la Première Guerre mondiale, comme l’une des grandes figures d'une Amérique en passe de devenir la première puissance mondiale. À la fois témoin et acteur de ses évolutions, l’auteur de Croc-Blanc a incarné cette plongée dans la modernité. Élevé dans la pauvreté à San Francisco, ce fils d’une astrologue peu aimante, adopté par son époux John London, a travaillé dès 14 ans. Le jeune prolétaire et futur socialiste dénoncera plus tard les dérives du capitalisme. Mais le large appelle cet aventurier dans l’âme. Marin et pilleur d’huîtres, il devient chercheur d’or dans le Grand Nord lors de la ruée de 1897. Des expériences qui lui fourniront sa matière littéraire, la vie et l’œuvre de Jack London étant indissociables. Devenu grand reporter et photographe, il couvre la guerre russo-japonaise, le tremblement de terre de San Francisco de 1906 ou la révolution mexicaine, avant d’explorer, à bord de son voilier Snark, les archipels des mers du Sud. Sa mort prématurée à 40 ans laissera inachevé son rêve ultime de rancher californien.
Insatiable explorateur
Réalisé à l’occasion du centenaire de sa disparition, ce passionnant documentaire retrace le destin hors normes de Jack London, à travers des archives exceptionnelles, souvent inédites, dont les remarquables photographies que l’écrivain voyageur a prises lui-même. Il mêle les témoignages de spécialistes à des scènes de reconstitution tournées dans le Grand Nord canadien, en Polynésie et dans son ranch de la vallée de Sonoma, sur les traces de cet insatiable explorateur de la nature, qu’elle soit sauvage ou humaine."

Samedi 26 Janvier 2019 à 20h50, sur Arte,  Durée : 1h40.
Source

vendredi 25 janvier 2019

La vie en souffre...

Emil Cioran
" Je procède comme les peintres ; je dessine, je veux dire, j’écris les contours d’un texte ; puis, j’étoffe, je procède par couches successives ; ce qui entraîne nécessairement contradictions, incompatibilités, disparates ; c’est un risque à prendre, que je prends. Mais un esprit cohérent, que fait-il ? Il pose une définition et ne veut en démordre ; il viole le problème dont il traite, il le torture en tout cas ; la logique y gagne ; la vie en souffre. Lui aussi, il prend ses risques. "
Cioran, Cahiers.

jeudi 24 janvier 2019

Chez Marcel Aymé...

Marcel Aymé et Céline
Céline jouant aux boulles chez et avec Marcel Aymé en 1955, Magazine LIRE HS n°7.

mercredi 23 janvier 2019

On a l'âge de ce qu'on n'a pas fait...

22 décembre 1913.
"Ma quarante-troi­sième année ! C'est vrai ! Les voilà donc qui viennent, les années que je désirais si ardemment quand j'avais vingt ans ! Les années de la quarantaine ! Les années qui mènent à la cinquan­taine ! Les dernières belles années d'un homme ! La cinquan­taine ? Ah ! du train dont la vie file, c'est demain, ou presque. Je voulais le noter l'autre jour. Ce n'est pas précisément que je ne pense jamais à mon âge. Je me figure toujours être encore un jeune homme. Non. C'est fini. La quarante-troisième année ! Le peu que j'ai fait, le peu que j'ai réalisé. J'écris ce mot réalisé parce, qu'en fait, je n'ai jamais cessé de travailler, d'avoir le cerveau actif. Si quelqu'un s'est servi de son cerveau, de son intelligence pour réfléchir, observer, regarder, retenir, s'ana­lyser, c'est bien moi. J'ai même dû à cela d'user si bien cer­taines choses qu'ensuite je n'avais plus aucune envie de les faire. B... me disait ce matin, à propos de ma constatation : « On a l'âge qu'on paraît. » On a surtout l'âge de ce qu'on a fait, de ce qu'on n'a pas fait, plutôt. Je pense ce soir qu'on a peut-être plus exactement l'âge de la force qu'on a gardée. Je puis dire alors que je suis encore jeune, car je ne sais pas encore ce qu'est la fatigue, surtout la fatigue du travail. Quand j'écris quelque chose qui me plaît, m'intéresse, je puis très aisément travailler douze heures de suite, me coucher à 2 ou 3 heures du matin, cela, au besoin, plusieurs jours de suite, sans en garder aucune fatigue physique. Je ne me sens même jamais plus léger, plus prompt. Ce qui me manque, ce qui m'a toujours manqué, c'est le désir qui pousse, le ressort qui fait agir, l'ambi­tion, un but à atteindre. A cet égard, je ne crois pas que je pourrai jamais dire que j'ai beaucoup travaillé, j'entends : littérature. J'ai surtout écrit pour mon plaisir, par saccades, par entrain passager. Cela a été pour moi une autre façon de rêver. Rêver ! Ah ! cela, je pourrai dire que je m'en serai payé, dans ma vie."

Paul Léautaud, Journal littéraire, Mercure de France.
Paul Léautaud

lundi 21 janvier 2019

L’indépendance...

- Famakan, cet œuf est-il de toi ou d’une pintade ?
- C’est un œuf de pintade.
- Mais alors, Famakan, pourquoi l’as-tu pris ?
- Papa lieutenant…
- Ah !…
Les mains ligotées, la tête couverte de jaune d’œuf, tiré par le lieutenant Siriman Keita, Famakan ne comprenait rien à ce qui lui arrivait.
Le lieutenant vociférait :
- Les Blancs !… tout ça c’est la faute aux Blancs ! Autrefois, un enfant de sept ans allait déjà au champ. Aujourd’hui, on veut leur donner de l’instruction. Et quelle instruction ! Le lundi ils se reposent des fatigues du dimanche ; le mardi ils travaillent un peu ; le mercredi ils préparent la sortie du jeudi. Et le vendredi ils commencent à rêver au dimanche. Et à peine savent-ils écrire leur nom qu’ils parlent d’indépendance.
L’indépendance ? C’est-à-dire plus de retraite pour le lieutenant. Plus de retraite pour tous ceux qui ont démontré, de l’autre côté de la mer, le courage de notre race. C’est de la jalousie ! de l’égoïsme ! […]

Massa Makan Diabaté, Le Lieutenant de Kouta, 1978, Editions Hatier International/Monde Noir Poche.

dimanche 20 janvier 2019

Pour évoquer Marc Bernard...


J’ai choisi de vous parler de Marc Bernard, parce que, comme irrégulier, on fait rarement mieux. Je l’ai connu intimement. Il n’y avait pas d’homme plus gentil, sauf quand on lui parlait de travail. Si on lui proposait un travail, une lueur méchante s’allumait dans ses yeux bleus.

Marc Bernard est né en 1900, à Nîmes. Son père, originaire de Majorque, est parti au Texas comme chercheur d’or et n’a pas tardé à être assassiné. Le vrai nom de Marc est un nom catalan, Bernat, mais l’employé de l’état-civil s’est trompé et a écrit Bernard. Sa mère s’épuise à faire des lessives et disparaît quand Marc a douze ans. Après la Première Guerre, il est à Paris, cheminot, puis ouvrier en usine. Il envoie des poèmes à L’Humanité, qui en ce temps-là publiait des poèmes. Henri Barbusse le remarque et l’embauche dans son journal Monde. Pour Marc Bernard, c’est une grande révélation. Être écrivain, c’est ne plus travailler. Il s’en est tenu là toute sa vie. J’ai fait un magazine littéraire à la radio, avec lui et Yvan Audouard. Cela nous prenait un après-midi par semaine. Au bout d’un certain temps, il a trouvé que c’était une contrainte insupportable, et il nous a quittés. Plus tard, il devait donner une chronique par mois au Figaro, bien payée. Il n’a pas tardé à laisser tomber. C’était encore trop.


Vous me direz qu’il y a eu ses livres, qu’il a obtenu le prix Interallié, puis le prix Goncourt. Mais il n’a jamais connu de grands tirages. Même le Goncourt, obtenu en 1942 – c’était la guerre, il n’y avait pas de papier – n’a pas atteint 50 000 exemplaires.

Alors, comment subsistait-il ? Quand il n’avait plus d’argent, il partait pour un pays pauvre, la Grèce, le Maroc, et il y vivait comme les gens du pays. Il avait trouvé une femme sur mesure, Else, une intellectuelle juive autrichienne, docteur ès lettres, qui avait connu Freud et Bruno Walter, mais qui acceptait de se faire des tailleurs dans ses vieux costumes.

En septembre 1955, Marc m’écrit des Baléares : « Notre provision de biscuits tire à sa fin. Je me demande comment nous allons nous en tirer. » Dans une autre lettre de la même époque, alors que Salut Camarades va sortir en librairie, il déclare : « Il serait de la plus haute importance (culinaire) qu’on en vendît, sinon le spectre noir de la faim, ou des chaînes, est sur moi. » On peut lire dans Mayorquinas : « Depuis une semaine, nous nous nourrissons en partie de boutons d’or dont les feuilles font une salade rêche, filandreuse, amère, mais qui mélangée à des pommes de terre, rehaussée d’ail doux, ointe d’huile d’olive, arrosée d’un filet de vinaigre de vin, saupoudrée de poivre de Cayenne et de sel de mer, fait un plat excellent. »

Marc est mort à Nîmes, en 1983. Solitaire – Else était morte d’un cancer –, il était revenu dans sa ville natale et avait été recueilli par un ami au nom éloquent, le docteur Paradis.

Pour vous offrir un portrait de Marc Bernard, je pense que le mieux est de feuilleter avec vous un de ses livres qui a pour titre Vacances. Bien entendu, il ne s’agit pas des vacances de tout le monde. On ne doit pas se laisser abuser par ce mot. Venant de celui qui tenait si farouchement le travail à distance, il n’est pas possible qu’il s’agisse de congés payés, et pas davantage de Club Méditerranée. Vacances, malgré son titre, n’est pas fait que de pages heureuses, de souvenirs ensoleillés. C’est autre chose. Marc appelle vacances les moments privilégiés où il s’est senti vraiment libre. Il a d’ailleurs placé en tête une sorte de profession de foi : « Sans doute faudrait-il commencer ce petit livre par une affirmation courageuse. Disons donc que je suis l’homme des vacances. Au stakhanovisme, à la rage de production, à l’engagement, à l’efficacité, j’oppose ma conviction et ma philosophie qu’un seul mot exprime : vacances. » Conviction qui remonte à l’enfance : « Si mon élan pour les vacances est tel, écrit-il, c’est que j’ai mal débuté dans la vie ; quand j’étais enfant, les miennes furent tristes, sans mer, ni montagne, avec les seules vallées des rues, les prairies des places, les rivières des ruisseaux, les tunnels des couloirs, des passages. Pour voyager, je transformais une chaise en diligence… » Les dernières lignes de cette introduction sonnent comme une profession de foi : « J’abandonne gloire, puissance et fortune à qui les veut ; je leur préfère la liberté, c’est-à-dire les vacances. »


Pour bien commencer, Chômeur : tel est le titre du premier chapitre. Orphelin à douze ans, comme je l’ai dit, Marc avait trouvé refuge chez la cousine Alice et son mari Eugène. Il doit gagner sa vie. Mais quand la guerre éclate, en 1914, des usines ferment, par suite de la mobilisation. Les apprentis se retrouvent chômeurs. Pour ceux qui cherchent de l’embauche, c’est place du Chapitre que se tient la bourse aux renseignements. On lui parle de l’usine des Bougies, au bout du chemin d’Avignon. Mais la fumée grasse, et la puanteur suffisent à le faire fuir. C’est là que finissent les chiens errants que l’on fait fondre dans des cuves pour fabriquer des bougies avec leur graisse. Heureusement, sa cousine lui trouve une place de conte de fées. Dans une pâtisserie. Afin de lui ôter l’envie de chaparder, le patron lui permet de manger une bonne fois autant de choux à la crème qu’il lui plaît. L’apprenti en dévore tout un plateau et c’est le patron qui se sent écœuré. Cela ne met pas fin à l’appétit du garçon. « Je ne comprends pas comment tu peux bouffer toutes ces cochonneries », disait l’artisan étonné et dégoûté.

Il a aussi été apprenti dans une droguerie. Malgré son titre pimpant, Aux Mille Couleurs, cette droguerie est un établissement sinistre et les employés féroces avec l’enfant, le petit rouquin, dont les mains sont bientôt rongées, crevassées par le Javel. On pense à l’enfance de Dickens, quand il était apprenti dans une fabrique de cirage.

Comme il se passionne pour le théâtre, il gagne Marseille, où, tout en travaillant, il suit pendant un an le cours d’art dramatique du Conservatoire. Il a pris pension chez un ouvrier dont la femme Toinette est une ogresse à laquelle il échappe de peu. Marc prétendait que, pour éviter qu’il la dénonce à son mari, elle avait tenté de l’empoisonner.

Le chapitre « Découvertes » nous entraîne à Lyon. Histoire de se dépayser, Marc y part avec un copain de son âge, Antonin, vers la fin de la guerre. Il en décrit les bas-fonds, par exemple une belle et forte ivrognesse que les deux adolescents ramassent dans la rue, hissent péniblement jusque chez elle, au cinquième, dévêtent. Mais ils ne profiteront pas de leur bonne action, parce qu’elle rejette un flot de vin violet qui les fait fuir. L’homme aux éternelles vacances frôle parfois le vagabond, le clochard. On sent qu’un rien suffirait à lui faire franchir le pas.

En 1921, il doit faire son service militaire. On l’envoie en Haute-Silésie, par mesure disciplinaire (c’est le chapitre « Souvenirs de l’occupation »). Il y reste deux ans. Dans la région, Allemands et Polonais prolongent la Grande Guerre par une petite, mais qui tue aussi. Le Nîmois Marc Bernard décrit avec des yeux étonnés la neige, le gel : « Les vitres, en une nuit, devenaient fleurs… Les boissons pouvaient se débiter à la hache… »

Infirmier dans un hôpital, il assiste à des scènes où l’horreur se mêle au burlesque. Les soldats français fréquentent des bordels sordides où ils attrapent des maladies. Mieux avisé, Marc fraternise avec une jeune Allemande aux yeux tristes, Adélaïde. « Elle portait des bottes qui lui montaient aux genoux, une toque de fourrure de petit officier slave… Il nous arrivait de monter dans un traîneau et de filer vers une auberge. Les mains serrées sous la couverture que le cocher avait déployée sur nos genoux, Adélaïde et moi étions emportés sur la blancheur mate de cette campagne sans fin. Quatre ans de guerre, des millions de morts pour en arriver à une Allemande et à un Français de vingt ans, heureux d’être ensemble, de sentir leur chaleur sous la laine… »

Entre deux rendez-vous, quand il est de service à l’hôpital, il est affecté à la garde des fous.

Son supérieur apprend que Marc a une amie allemande. Il lui conseille de sortir armé. Lorsque le soldat repart pour la France, Adélaïde lui dit adieu très simplement, avec des larmes silencieuses. Elle tait qu’elle l’aime et que demain, probablement, ses compatriotes vont la tondre.

Une autre victime est peinte dans le chapitre « Vacances à Paris ». C’est Lucienne, rencontrée dans une guinguette. Elle ne tarde pas à se confesser à lui. Lucienne, prostituée malgré elle, battue, bafouée et qui finit à la morgue. C’est Marc qui se charge de l’enterrer : « J’avais acheté une concession de cinq ans. » Et il ajoute, au moment où il écrit : « Il y a près de vingt ans de cela. »

C’est vers 1925 qu’il est monté dans la capitale, en compagnie d’un camarade nîmois, René Rouveret. Et c’est René Rouveret qui apportera à Jean Paulhan le premier livre de Marc Bernard, Au secours !. Marc n’osait pas le porter lui-même. Jean Paulhan ne fut pas mécontent de découvrir un jeune compatriote. Une semaine après, il écrivit à Marc : « J’ai lui votre manuscrit. Considérez à ce jour cette maison comme la vôtre. » Marc s’enhardit à venir remercier Jean Paulhan. Dans le bureau tout en longueur, comme un couloir, un homme se tenait à l’autre bout. Paulhan dit à Marc : « – Vous avez lu des livres d’André Gide ? – Quelques-uns. – Et vous les aimez ? – Oui. – Eh bien, ce Monsieur est André Gide. » Et Paulhan ajoute, avec malice : « Permettez-vous que je vous présente André Gide ? » (et non : « Permettez-vous que je vous présente à André Gide ? »). Marc, qui a retrouvé son sens de l’humour, répond : « Oui, je vous le permets. » Ces présentations faites, Paulhan dit à Gide : « Voilà un jeune ouvrier qui écrit et qui a lu plusieurs de vos livres. – Et qu’en pensez-vous ? demande Gide. – Je les ai aimés. » Marc lui parle de La Symphonie pastorale. Gide pose une nouvelle question : « – Dans votre usine, vous êtes nombreux à avoir lu mes livres ? – Non, je suis le seul ! » Ce fut le début d’une relation qui devint amicale. Gide a vite estimé et protégé Marc Bernard. Lui aimait et admirait Gide, mais il ne se laissait pas impressionner par le grand homme. Au moment où les intellectuels français essayaient de faire libérer Victor Serge d’Union Soviétique, il alla voir Gide qui hésitait à s’engager : « Alors, m’a raconté Marc, je me suis souvenu qu’il était protestant et j’ai fait appel à son sens du devoir. Il a signé. »


Au début, il habite rue Mazet, un nom prédestiné pour un Languedocien. Plus tard, avec une bande de Nîmois, bohèmes comme lui, il s’installe à Montparnasse, à l’hôtel Jules César. « Il nous arrivait de manger sur le balcon, raconte-t-il, et au dessert de chanter Lou Mazet de Meste Roumioù, ou Si Henri V venié deman, l’hymne du quartier de l’Enclos-Rey, le faubourg royaliste de Nîmes. Les habitants de Montparnasse nous prenaient pour des Suédois. »

Il rêve de théâtre. Il va voir Antoine, qui n’a plus de théâtre et qui lui apparaît comme un confortable retraité de la gloire. Puis Charles Dullin, qui lui dit : « Vous devriez jouer les valets. »

La Seconde Guerre mondiale qui allait bientôt commencer allait lui réserver de nouvelles aventures (« On remet ça »). Un jour d’automne 1938, comme je l’ai dit, il avait rencontré une intellectuelle juive, Else Reichmann, qui venait de fuir l’Autriche, avait passé clandestinement la frontière en Alsace, et s’apprêtait à gagner les États-Unis. Le coup de foudre se produisit au musée du Louvre, devant la Vénus de Milo ! Marc et Else ne se sont plus quittés.

Else et Marc Bernard
Else était sans doute une des seules femmes capables de partager les aléas d’une vie libre, mais proche de la misère. À Paris, le couple habitait rue Saint-Jacques, presque en face du Val-de-Grâce, un petit logement sous les toits, dans une très vieille maison. Je me souviens qu’un jour, Else avait réussi à mettre de côté un peu d’argent, quelques billets, qu’elle avait enveloppé dans un journal, un dérisoire trésor de guerre. Soudain Marc, pour la seule fois de sa vie, peut-être, entreprend de mettre de l’ordre. Il jette le journal au feu.

Quand on remet ça, donc, en septembre 1939, Marc Bernard doit rejoindre un corps d’infirmiers, à Marseille, le vingt-cinquième jour de la mobilisation. En attendant de faire son devoir, il s’installe avec Else dans un mazet, près de Nîmes, dans la farigoule et les oliviers nains. Ils font la cuisine sur un feu de bois, en plein air. « Puisque le monde allait vers une ère primitive, nous prenions les devants. » Mais il faut bien gagner la caserne, et les réveils matinaux qui lui ont toujours fait horreur. Alors Marc Bernard devient le soldat invisible. Qui couche en ville, qui n’est jamais à son service. Il frôle le conseil de guerre et, à ce moment, il a une intuition géniale. Il demande audience au général, et plus étonnant, l’obtient. Il explique au général que le service de santé a besoin d’être mieux connu, reconnu, et que, lui, Marc Bernard l’écrivain, par ses relations dans la presse, à la radio, peut assurer cette propagande. L’ingénieux soldat passe quelques mois tranquilles à rédiger son projet. Il le remit à ses colonels et n’en entendit plus parler.

Quand Marc est démobilisé, le couple se réfugie à Nîmes, rue Rouget de Lisle. C’est à Nîmes que Marc et Else se marient. Ils se promènent sans fin dans la garrigue. Mais au marché Saint-Charles, la nourriture se fait rare. Le couple n’a pas le sou. Un matin, de bonne heure, la propriétaire frappe à la porte pour exiger le loyer impayé. Else la reçoit. Elle trouve soudain une parade foudroyante : « Et moi qui voulais vous emprunter de l’argent ! »

À Nîmes, dans le quartier de la cathédrale, il est assailli par les souvenirs de son enfance, tout un passé qui ressurgit, les ruelles, les maisons, les personnages, les joies, les misères. C’est ainsi qu’il écrit le roman, plutôt le récit, qui lui vaudra le prix Goncourt, Pareil à des enfants.
« Voici le faubourg de Nîmes, voici la maison où, il y a quarante ans, par une nuit de septembre, alors que, dans la plaine, le vin nouveau se soulevait en lourds bouillons dans les cuves de ciment, une autre vendange coulait dans la blancheur des draps. Et la chambre s’emplit des cris de l’enfant roux que mon père soulevait dans la lumière de la lampe à pétrole aux flancs de verre. »
C’était rue Bonfa, dans le quartier de la Croix de Fer.

Il explique comment Pareil à des enfants s’est imposé à lui : « Un homme, une femme, un enfant, avaient souffert jusqu’au fond de l’âme tel jour, à tel instant précis ; nul ne l’avait su que moi et je devais dire comment cela s’était passé. »

Après l’armistice de 1940, « l’ère était à la famine » rappelle Marc, et les restrictions de tabac lui semblent particulièrement cruelles. Son vieil ami et compatriote René Rouveret, aussi bohème que lui, l’entraîne dans une aventure qu’il raconte dans le chapitre « Promenade en mer ». À bord du Muscadet, un yacht loué par Rouveret, ils s’installent à Cannes. Ils espèrent gagner leur vie en faisant « la promenade en mer ». Malheureusement, les touristes sont rares. Les deux amis ne savent pas qu’il faut donner des ristournes à des rabatteurs. Le meilleur souvenir, c’est l’île de Saint-Honorat, où des moines travaillent dans les champs. « Je n’ai jamais pu voir un monastère sans avoir envie de me fourrer dedans », écrit Marc le contemplatif. « C’est là, me semble-t-il que je trouverais le repos, dans un monde sans haine, d’où toute vanité est absente… » Mais, un jour, à Saint-Honorat, Marc se trouve seul avec une dame dans la forteresse à demi ruinée. Alors qu’il rêve de vie monastique, un coup de vent retrousse la robe de la dame et fait s’envoler la vocation de moine.

En novembre 1942, la zone sud est envahie par l’armée allemande. À son tour, la ville de Nîmes devient dangereuse pour Else, qui est juive. Marc Bernard a noté en quelques lignes une scène d’alors : « Aux portes de Nîmes, l’autocar s’arrêta. Dans l’arche d’un pont, un homme pendait ; un autre tomba, se mit à se balancer. Six furent jetés dans le vide. Autour d’eux, les arches étaient bleues : au-dessous, des hommes verts montaient la garde. »

Marc et Else décident de partir, en 1943, pour un coin tranquille du Limousin, comme il le raconte dans le chapitre « Quatre saisons ». Le coin tranquille qu’on leur avait conseillé est une ferme au bord de la Vienne. Je vous recommande les pages qu’inspirent à Marc la contemplation des belles et charmantes vaches blondes, dans le pré sous sa fenêtre. Deux enfants l’initient à la pêche à la ligne. Il y a aussi des vieux, bien sympathiques. Mais une nuit de juin, « un poing heurta avec violence la porte de la ferme, puis une voix retentit dans la cour : – les Allemands brûlent tout ! Partez ! » C’est que la ferme où Marc et Else ont trouvé refuge est à huit kilomètres d’un village qui s’appelle Oradour. Marc évoque le massacre sans grandiloquence, avec sa précision habituelle. Il revoit une vieille femme qui, pour fuir, a mis ses beaux habits de jeune fille. Et aussi, après une visite sur les lieux où la division Das Reich venait d’accomplir son acte de barbarie :
« Me promenant sur les bords de la Vienne, en rentrant d’Oradour, je revoyais les cadavres d’enfants aux chairs cuites, des ossements carbonisés portés au cimetière dans des lessiveuses, par de jeunes prêtres masqués, un rosier avec ses feuilles vertes devant une maison en ruines, la longue rue charbonneuse, et une tête noire de vache dans son collier de fer. »
Malgré l’horreur, Marc se souvient avec reconnaissance des jours passés en Limousin : « Jamais retraite ne fut plus hospitalière, paysage plus apaisant. Les ruines et les morts s’effacent, mais les images de l’eau vive, des peupliers miroitants et quelques voix humaines qui nous ont aidés à ne pas désespérer, demeurent au plus secret de nous. »

Quand Marc n’avait plus le sou, il partait. Je cite :
« Quand on a envie de voyager, le mieux est de partir, sans trop se soucier de l’argent, ni de l’heure. Je mangeais dans une gargote de la rue de la Grande Chaumière quand je décidai, au milieu de mon miroton, d’aller en Espagne. Le temps d’aller à la gare et je prenais le train qui m’attendait pour se mettre à rouler. Il y a toujours un train sous pression si votre envie est irrésistible. »
Il partait, comme je l’ai dit, pour quelque contrée très pauvre : Majorque, le Maroc, la Grèce, en vivant comme les gens du pays. C’est ce qu’il explique dans « Croquis marocains ». « Un pays comme le Maroc, où la paresse est respectée, avait bien de quoi me séduire. »

Il s’installe à Mazagan, dans une « kissaria », une échoppe abandonnée : « Une alvéole, une table, une chaise, un carré de ciel, une cour au ciment craquelé où poussait l’herbe, des oiseaux par douzaines, la liberté, le soleil, et au travail !... Cela dura deux mois. Deux mois de bonheur absolu. »

Majorque est un autre lieu privilégié de vacances, et en même temps le retour au pays de son père. Deux chapitres, « Mallorca » et « Nouveau séjour à Mallorca », évoquent sa vie dans la grande île des Baléares. Le premier séjour quand il a quarante ans. Et le deuxième cinquante. Il commente : « Deux sauts de puce et voici le vieillard. Puis un petit saut dans le vide. Ceci dans le meilleur des cas. » La Majorque de Marc Bernard n’est pas, vous nous en doutez, la Majorque des charters allemands pleins de touristes. C’est celle du petit peuple : Jaime, le zapatero (le cordonnier), et sa femme qui tient une épicerie-mercerie. Et aussi Mme Bloch, suissesse, bistrotte et fervente catholique, Pedro le marchand de tabac qui a du mal à s’en sortir, parce que tout le monde, même les douaniers, fume du tabac de contrebande, et les pêcheurs de langoustes et de calamars. Quand meurt l’un d’eux, on le porte au cimetière, à travers champs, à bout de bras, son dernier paseo.

Marc, lui, comme partout où il se trouve, fait contre mauvaise fortune bon cœur. Voici comment il décrit ce qu’il a trouvé en guise de bureau : « Je suis sans doute le seul écrivain qui attrape des ampoules pour écrire ; un système de cordes me permet de me hisser dans la soupente d’une étable. J’arrive là-haut essoufflé, les mains rugueuses, pareil au matelot qui va réduire la voile dans le cacatois. » Mais là, il entend les oiseaux, il aperçoit des poulains qui dansent dans le pré voisin. « Je crois être dans un nid. »


Au soir de sa vie, après la disparition d’Else, Marc reviendra à Majorque et s’y construira une maison. Je crois que pour ce bout de terrain, 400 mètres carrés, avec quelques arbres, dans une petite crique, il ne s’était pas soucié d’avoir un titre de propriété dans les règles. Et pas davantage de factures pour la construction de la maison. Entre gens d’honneur, on n’en a pas besoin. Vous allez quand même vous demander comment il l’avait payée. C’était au prix d’un grand sacrifice. Il est allé pendant tout un semestre donner des cours dans une université américaine. « Je vends mon âme », disait-il. Il eut l’idée d’apporter des disques avec la voix de Valéry, Claudel, Éluard, Prévert pour les faire entendre à ses étudiants.

Je suis allé chez lui, à l’est de Majorque, un endroit nommé Cala d’or. Il semblait heureux. Il se baignait. Il aimait ses arbres. Si d’aventure il mangeait une côtelette, il enterrait l’os au pied d’un pin maritime, pour le nourrir.

Je fais une parenthèse à propos de l’œuvre de Marc. Pour toute la première partie, on peut parler de littérature populiste. Après la mort d’Else apparaît un tout autre écrivain, soucieux de faire revivre cet amour, avec des livres presque mystiques comme celui qui a pour titre La Mort de la bien-aimée.

Je reviens à Majorque. La première fois où il rêve à l’île où sa famille paternelle avait vécu pendant sept siècles, il se trouvait au bord de la mer, à Barcelone. C’était en 1937. Marc ne nous dit pas ce qu’il faisait à Barcelone, en pleine guerre civile. Il fumait un cigare en contemplant la mer quand un milicien l’arrêta, et il fut emmené pour une de ces promenades en voiture qui se terminait en général par une séance de tir.
« Il y avait alors un sport très en faveur tras os montes, qu’on appelait « ley de fuga ». Cela rappelait le tir au pigeon. On vous lâchait dans un champ ; quand vous aviez pris quelque distance, on vous abattait à la douce, comme au stand. Le lendemain, le camion d’ordures ménagères venait vous ramasser avec les autres cadavres, on vous empilait et vous partiez pour le trou. »
Ce qui paraissait suspect, c’est que son passeport montrait qu’il était allé à Majorque, peu avant le début de la guerre civile. Les choses s’arrangèrent de justesse. Les anarchistes catalans finirent par comprendre que Marc n’était ni un espion allemand envoyant des signaux à un sous-marin ni, malgré le puro, un capitaliste.

Pour Marc, l’homme des garrigues, la neige paraissait une singularité magique et effrayante. Petit enfant, à Nîmes, en plein été, en plein soleil, il restait fasciné par une flaque de neige, juste devant la porte de la maison. Ce qu’il prenait pour de la neige, c’était de la chaux. Le chapitre « Magie de la neige », le montre émerveillé par les immensités neigeuses du Tyrol et surtout l’ordre, le calme, la quiétude de la Suisse. Comme quoi on peut admirer, aimer, voire envier son contraire. Il a cru voir à Zurich « une image paisible de l’homme qui va à son pas, dans une sorte de silence ». Mais il avoue : « Si je m’étais fixé dans l’une des claires maisons zurichoises, la nostalgie du large m’aurait tiré de ma cage fleurie. »

À Nîmes, la tauromachie fait partie de la vie. Mais le petit Marc n’avait pas les moyens de se payer l’entrée des Arènes. Alors il se collait aux grilles. De la grande fête, il n’avait droit qu’aux sons, à la musique, aux cris de la foule. La passion des corridas, gravée dans l’enfance, n’a jamais quitté Marc Bernard. Le chapitre « La feria de Valence » est un véritable traité de l’art taurin. Je me souviens qu’il m’a donné rendez-vous à Pampelune, à l’occasion de la San Fermin. Il m’a emmené dans l’hôtel que Hemingway a décrit dans Le Soleil se lève aussi, et qui était tenu par l’hôtelier même du roman, Montoya, de son vrai nom Quintana, pour rencontrer son ami le matador Chiculeo II, lequel a connu une étrange mort pour un matador : pas dans l’arène, mais dans un accident d’avion.

Je vous ai dit qu’un homme généreux, un docteur portant le nom prédestiné de Paradis, a permis à Marc de finir sa vie loin de tout souci matériel. Marc me l’avait annoncé en ces termes : « Paradis m’a cédé un petit logement à côté de son jardin où se trouve un platane admirable, un bassin moussu et quelques moustiques. J’y serais très bien si je pouvais maintenant me trouver bien quelque part. Mais je vis davantage désormais parmi les ombres. C’est le privilège du grand âge, avec la gratuité dans l’autobus. »

C’est là que, le 15 novembre 1983, s’achevèrent ou, si l’on veut, commencèrent, les vacances de Marc Bernard.

Roger Grenier, « Les vacances de Marc Bernard », portrait de l’écrivain Marc Bernard, à travers l’évocation de son livre Vacances, qui est une véritable profession de foi d’irrégulier.


samedi 19 janvier 2019

Mémoires de Bison : Fragrance d'une Vodka Biala

Mémoires de Bison: Fragrance d'une Vodka Biala: - On peut vous faire confiance. Je l'ai tout de suite compris. Dès que j'ai vu le portrait de Soljenitsyne. - C'est Dostoïev...

Jolie chronique... On se sent moins seul...

Sur ce blog
Dovlatov en plein travail... (à droite)

mardi 15 janvier 2019

L’homme... une créature corollaire... fortuite...


" LES FEMMES SONT plus réelles que nature. Ouragan de réalité qui ravage tout ce qui n’est point biologie. La femme est - davantage - un être humain. L’homme, au fond, n’est qu’une créature corollaire, en quelque sorte fortuite. Point prévu au programme, il a fini par l’investir. L’être humain, en principe, c’est la femme. Les hommes ? ils ne font que circuler autour, se choisissant les tâches les plus saugrenues : logisticien, souteneur, banquier, matelot de sous-marin au long cours, ou alors philosophe, spécialiste en physique théorique - et jamais, nulle part vous ne les verrez satisfaits. Pour les femmes, c’est le contraire : songer à la plage. Contenter les hommes ne relève pas du plan terrestre. Représentent un type prolongé, trop mûri - voué à l’extinction. Monté en graine, pathologique. Mais la femme satisfaite, là, pardon ! Chose indescriptible, en tulle transparent, paire de slips en nylon diaphane bleuté argent.
  Pourtant, il y a l’envers de la médaille : les exceptions. Si  la femme mérite qu’on lui fasse - à titre provisoire - confiance, c’est uniquement comme putain, rien de plus. (...) "

Leo LipskiPiotrus, 1960, p.57, traduit du polonais par Allan Kosko, Editions L'Arbre vengeur.

dimanche 13 janvier 2019

Dans la hotte de Papa Noël...


Pour faire suite à mon post précédent...

Sur l'avenir de l'édition traditionnelle...


François Bon en grande forme...
La solution : l'auto-édition ?... Ce n'est pas tout d'écrire et d'être publié, il faut SURTOUT faire valoir SES droits !!! Les voleurs sont partout...

vendredi 11 janvier 2019

Le vin des rues - Robert Giraud

Présentation de l’éditeur
Robert Giraud n’est pas sérieux, c’est ce qu’en dit Robert Doisneau. Robert Giraud traîne sa silhouette le long des quais, renifle l’odeur de céleri des Halles et brûle ses nuits au bistrot. Chez Fraysse ou chez Paulô, assis au zinc devant un beaujolais, il raconte les histoires d’un Paris perdu, d’un Paris insolite sur le ton d’une simple conversation et avec le langage des rues mal éclairées. Dans ces histoires qui n’ont pour thèmes qu’amour, argent et honneur s’illustrent des personnages, écorchés et mythiques. Mais ne subsiste finalement qu’un acteur : le vin, sérum de vérité, qui délie les langues.
Robert Giraud, provincial de Limoges destiné à une carrière de notaire monte à Paris au milieu des années 40 et choisit une voix différente, celle de l’aventure. Poète, journaliste, écrivain et lexicologue, il est l’auteur de plusieurs ouvrages parmi lesquels Le Vin des rues (1955), qui obtient le Prix Rabelais et Le Royaume secret du Milieu (1969), consacré au royaume d’argot, à son peuple et à ses coutumes. Ami de Doisneau et Prévert, qu’il fréquente au bistrot, il est un explorateur du Paris by night tel qu’il ne sera plus.

C’est une succession d’historiettes, de tranches de vie, d’anecdotes de bistrots de la faune parisienne des années 40-50, par notre Bukowski national, j’ai nommé : Monsieur Bob… enfin, toute proportion gardée et en moins égocentrique ; le narrateur s’effaçant pour se concentrer sur l’essentiel : un portrait, un tableau, souvent tendre, des marginaux et des laissés-pour-compte, kaleidoscope bigarré de tronches en tous genres dans une gouaille argotique savoureuse ; les prostituées, celle qui se prostitue en achetant ses poireaux, le vendeur de tabac qui récolte les mégots, les clodos sous la voûte céleste, les piliers de bar, les voleurs à la petite semaine, l'habitué des bordels qui se fait payer son billet de retour par les mêmes qui lui ont vidé les "bourses"... C’est vraiment un livre que l’on descend comme une bonne bouteille de Saint-Emil'… Mais il faut tout de même avoir de l’estomac... Moi qui suis 100% Chti, et "ignare" (à l'époque de ma lecture), je ne connaissais pas du tout cette "mythologie" parisienne, que je croyais réservée à l’autre côté de l’Atlantique ; tous ces personnages si atypiques rendus si chaleureux par Mister Bob d'un Paris maintenant disparu et complètement oublié… Pour information, le titre est de Prévert et a été utilisé aussi pour un vrai bistrot de Paname...

" Comme dans n’importe quel métier d’homme, la nuit a ses apprentis, ses voyageurs, ses traînards, ses égarés, ses disciples, ses pigeons, ses figurants… Le bistrot est là, premier échelon à franchir, et auquel on ne résiste pas. Pourquoi lui résister, après tout. Depuis la fermeture des bordels, le bistrot est ouvert la nuit. Le solitaire a beau être un solitaire, le bistrot-tabac, telle une fille, cligne l’œil rouge de sa carotte, et son appel ne laisse jamais insensible, et puis il faut en passer par là. (...)Hommes de la nuit, ils sont là, faciles à voir, à reconnaître, du plus petit au plus grand, traînant tous les rades les uns après les autres comme si la farce était réglée à l’avance. Une lumière s’éteint, une autre s’allume et la remplace. La nuit a quelquefois aussi ses heures de fermeture. C’est ce qui est grave, le tout est d’en profiter au maximum, après on verra. "

" On but une longue gorgée avant d'allumer les cigarettes. Papillon qui avait chaud d'un revers de main remonta la visière de sa casquette qu'il ne quittait jamais et pour cause, elle lui servait enfoncée jusqu'au yeux à masquer le papillon, ailes déployées, qu'il s'était fait tatouer au milieu du front en correctance. C'était sa raison sociale : comme lui je vole, ça voulait dire tout simplement. "

" Quelques mois avant sa mort, nous embauchâmes Fréhel la Grande pour venir chanter ses vieux succès. (...)En pantoufles sur des socquettes de laine rouge, en jupe noire plissée de fille des Halles, poings sur les hanches, dans un coin de la piste elle regardait la salle puis se tournait vers l'accordéoniste.
- Vas-y, minet vert... "

" Ces rêveurs des rues sont morts en même temps que leur ville, car de Paris aujourd'hui, il n'existe plus guère qu'une cité vidée de ses entrailles. "

" Les amoureux de Paris sont des Sioux sur le sentier de guerre, la cigarette qu'ils allument parfois, ver luisant entre ciel et terre, indique le chemin du retour. "

D'autres extraits ICI et ICI.

Robert Giraud, Le vin des rues, Editions Stock/Ecrivins - 246 pages, au format d'une bouteille de pinard.
Robert Giraud dit Monsieur Bob

Sur le pouce...

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jeudi 10 janvier 2019

Suite à l'épisode du Furet Du Nord et tel un enfant dans un magasin de confiseries (ou de ch'uc' comme on dit dans le Nord), je n'ai pas pu résister devant tant d'étalage, de profusion, d'abondance...


mercredi 9 janvier 2019

Une belle évocation de la femme... (Hommage)

" Ce qu'il y a de primitif dans la femme ne fait guère surface en présence des mâles. Préliminaires auxquels s'adonnent les femmes seules. Promenades lunatiques, aller-retour. On transfère des slips de place en place. On détaille un à un ses bas en quête de mailles filées. On s'absorbe dans la glace, chemin du nirvana. L'autre, dans le miroir, vous hypnotise. On s'approche  de la glace, s'en éloigne. Mouvements compassés, relevant du cérémonial. On se lisses les sourcils, les cils. Ébauche un geste en direction de la chevelure. Et, de nouveau, inertie. S'il y en a une qui vous parle, c'est un "oui, oui" ou un "non, non" absent. Comme si on allait tourner de l'oeil. Avec lenteur, avec componction, on enfile une paire de culottes, la toute neuve, celle qui est destinée à. On essaie un soutien-gorge, au autre. On en change, nerveusement. Pas celui-ci, celui-là !
  Se regardent pour voir de quoi elles ont l'air par-derrière, par-devant. A chacune sa manière de tortiller de la croupe. On s'exerce. De quoi aura-t-on l'air en dansant. On éprouve, on essaie les mille et une poses de la soirée. Tour à tour, on est ravie, dépitée, fâchée. Faire très attention : de quoi auront alors l'air votre poitrine, vos jambes, vos dents, votre ventre. Certaines se mettent à mimer des scènes entières : le bonjour, les adieux, le regard qu'on glisse à travers cils, le coup d'oeil dans la vitre sans se retourner, quelques pas sur le parquet sans avoir l'air de rien.
  Puis, à demi habillées, elles s'attardent encore devant leur miroir : se faire le visage pour ce soir. On se met du rouge en se léchant les lèvres, on se retrousse les cils, certaines y vont d'une goutte d'atropine. On s'efforce de corriger ce qui, semble-t-il, ne saurait l'être. Au menton, on s'arrache des poils imaginaires, tel un coiffeur se prodiguant en gestes superflus autour de la tête du client. Touche ultime de brosse aux sourcils, il y en a qui ajoutent du khôl. Elles ont quelque chose du chirurgien qui se recueille pour l'opération, du prêtre avant le sacrifice rituel. Concentrée, l'attention lunatique atteint son apogée. Ici, là, encore quelques gouttes de parfum. Subitement, c'est la précipitation : on a vu l'heure. "

Leo Lipski, Piotrus, 1960, p.54-56, traduit du polonais par Allan Kosko, Editions L'Arbre vengeur.
Leo Lipski

mardi 8 janvier 2019

Un concours de T-Shirts mouillés ! Chouette !!!

Le bon goût est de retour. Bukowski fait un caméo (apparition) dans le film "Supervan" (1977), un chef-d’œuvre cinématographique qui n’est pas resté dans les "annales" (on se demande bien pourquoi). Serez-vous le retrouver ? Un indice : il a 56/57 ans et s’amuse comme un gosse…
A l'heure de #MeToo, ça serait la case prison directe !

lundi 7 janvier 2019

Quelques bons écrivains en très bonne place...

...sur les présentoirs du Furet Du Nord (Lille).
John Fante
Charles Bukowski
Richard Brautigan
Il y avait aussi du Hubert Selby Jr. (!), du Emmanuel Bove (!), du Marc Bernard (!), du Edgar Hilsenrath, du Louis-Ferdinand Céline, du Jack London... ça nous change un peu de Marc Levy et consorts (qui sort?). Mais il y avait aussi UN mur de Michel Houellebecq ! :(
Il n'y a pas si longtemps que ça il fallait les chercher cachés dans d'obscurs coins de bibliothèques...
Syndrome des rééditions ???

jeudi 3 janvier 2019

Petit Bilan 2018

Comme je n'ai pas de mémoire et que je n'ai rien noté sur mes lectures 2018 je vais essayé de me souvenir des explorations livresques de cette année... Et il y a sûrement un chevauchement fin 2017/2018... Je n'ai "heureusement" pas lu grand chose... mais souvent que du bon (pour moi) ! Il y a tout de même quelques déceptions et quelques Flops ! On ne peut pas faire mouche à tous les coups. Et je passe sous silence quelques ebooks et autres livres presque oubliés...


Mon écrivain russe du moment


L'écrivain et son journal



C'est une sorte de journal d'un écrivain raté mi Céline (sans la haine) mi Henri Calet...
C'est la citation au bas de la couverture de "A tout prix" qui m'a convaincu de lire ce journal!
Et aussi que je connaissais Rudigoz, sans le savoir, depuis l'enfance car j'avais lu son livre pour les enfants : "Les Contes de la souris chauve" ; peut-être son seul véritable succés d'écrivain.


Les livres à portraits qui font découvrir d'autres écrivains (ou confirment un choix)




La réédition incontournable (une relecture donc!)


A la poursuite de... Henri Calet


A la poursuite de... Robert Giraud


A la poursuite de... Dan Fante
Il y a deux ans j'ai acheté tout le reste de sa bibliographie encore disponible en français car j'ai découvert qu'il était mort depuis déjà un an !


Les chouettes découvertes !!!
Pour "Mendiants et orgueilleux"

Journal d'une "résistance"
Pour "Mes amis" (en ebook)






Pour faire plaisir à son ego de Lecteur


La lecture érudite (trop pour moi mais très intéressante)
peut-être pour K.

La putain de trouvaille de fin d'année



Les déceptions cuisantes (ou avis mitigés ! trop d'attente?)


Les Flops, bides (abandonnés bien avant la fin, mais je ne perds pas espoir de les lire...)