lundi 30 mars 2020

A la croisée des chemins...


Céline, Louis Calaferte, Cioran, Thomas Bernhard...
“B.G.: Je voulais aussi que tu me parles de Thomas Bernhard que tu cites aussi dans Friterie-bar Brunetti : ”Il faut pouvoir se lever et partir de toute société qui n’est bonne à rien“ (Corrections). ”Rien” et ”inutile” sont des mots qu’on retrouve souvent dans tes livres…
P. A-G. : J’ai lu tout Thomas Bernhard. Ça a été une grande découverte. L’exergue que j’ai mis rejoint Calaferte et son côté libertaire que j’aime beaucoup. Son esprit révolté.
B. G. : Mais on est au-delà de la révolte, on est déjà dans le rien et l’inutile, dans le nihilisme, non ?
P. A-G. : Ah non, je ne suis pas du tout un nihiliste.
B. G. : Mais tu parles de Cioran aussi…
P. A-G. : Pour moi Cioran n’est pas nihiliste ! Si j’ai le moral qui remonte à peine à zéro, je lis Cioran et ça va mieux, c’est roboratif et pas du tout nihiliste.”

Rencontre entre Brigitte Giraud et Pierre Autin-Grenier (Le Matricule des Anges n°68 Novembre-Décembre 2005)

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dimanche 29 mars 2020

samedi 28 mars 2020

RIP - Édouard Limonov 1943-2020

avec un peu de retard...
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Une fois niée l’existence de Dieu, on peut sortir prendre l’air...

(c)Elisa Leonelli
16.4.92     Minuit 39
Jour funeste. J’ai toujours mis à profit le trajet jusqu’à l’hippodrome pour passer en revue mes martingales. C’est que je n’en ai pas loin de sept à ma disposition. Mais, cette fois, je me suis planté sur toute la ligne. Rassurez-vous, j’ai pour principe de ne perdre ni la boule, ni mes boules avec les canassons. Le genre flambeur, très peu pour moi. Les années de misère m’ont rendu prudent. Si bien que, vu mes mises, on peut s’abstenir de tirer le canon quand je touche le bon numéro. N’empêche que, sur la durée, j’aurai eu plus de flair que de déveine, même si j’y ai perdu un-peu-beaucoup de ma précieuse vie. Car là-bas, c’est votre durée de vie qu’on assassine. Un exemple, la deuxième course d’aujourd’hui. Comme il restait trois minutes avant que les chevaux soient admis dans leurs stalles de départ, les jockeys les ont freinés dans leur ardeur. J’ai cru alors – au diable, la raison – que le temps agonisait sous mes yeux. Quand vous aurez, comme moi, dépassé les 70 balais, vous ne supporterez plus qu’on gaspille la moindre de vos secondes. Inutile de me le rappeler, je sais fort bien qu’en venant ici je me place, sans y être contraint, dans cette douloureuse situation.
À une époque, j’avais pris l’habitude de filer en Arizona pour voir courir les lévriers en nocturne. Voilà des organisateurs qui savent y faire. Le temps de se rincer la dalle que déjà une autre course démarre. Pas de suspensions de trente minutes. Gloup, gloup, et hop, c’est reparti. On se sent bien. Dans la fraîcheur de la nuit, dans le feu de l’action. Impossible de penser qu’un connard quelconque viendra vous prendre la tête pendant que vous attendez, peinard, la prochaine. Et quand tout se termine, vous tenez la grande forme. Ne vous reste plus qu’à vous imbiber en chicorant votre nana le reste de la nuit.
Par comparaison, les chevaux, c’est l’enfer. Je me referme sur moi. Ne jacte à personne. Vaut mieux, d’ailleurs. Certes, les employés du pari mutuel me connaissent. Faut bien qu’en me pointant à leur guichet, je remette en marche les cordes vocales. Avec les années, ils ont appris à manœuvrer le client. Ne manquent pas de doigté, pour la plupart. Le commerce des hommes les a gratifiés, selon moi, d’une certaine dose de perspicacité. Il ne leur a ainsi pas échappé que l’immense majorité de la race humaine ne saurait se comparer qu’à un conglomérat de sous-merde. N’empêche que je garde mes distances avec ces fins psychologues. D’autant qu’en ne prenant conseil que de moi-même, je finis toujours par toucher un gagnant. Aussi bien je pourrais rester chez moi et téléphoner mes paris. Une fois ma porte verrouillée, je m’amuserais à peindre ou à… ce que vous voudrez. Mais il faut que je mette le nez dehors, afin de me convaincre que presque tous les humains ne sont qu’un ramassis de tocards. Ah, s’ils avaient le désir de se corriger ! Hé, ma poule, tu vires con, ou quoi ? Sérieusement, il y a autre chose dehors – il y a que la mort m’y obsède moins, car on se sent si hébété en compagnie de ses frères bipèdes qu’on en oublie de penser. Voilà quelques semaines, j’avais emporté avec moi un carnet de notes, histoire de jouer l’écrivain entre deux courses. Projet irréaliste. Là-bas, l’atmosphère est toujours étouffante, lugubre, comme dans un camp de concentration pour lequel on se serait, de surcroît, porté volontaire. Ce n’est que de retour à la maison que je refais mumuse avec la Grande Faucheuse. Mais juste un petit peu. Surtout pas d’excès en ce domaine. Non que la mort m’épouvante ou que j’en déplore l’inéluctabilité. Mais à trop la courtiser, on n’en retire aucun plaisir, comprenez-vous ? Alors, quand y penser ? Eh bien, pourquoi pas la nuit de mercredi prochain ? Ou pendant mon sommeil ? Et si j’attendais la gueule de bois carabinée ? Ou un accident de la route ? Quel sale boulot ! Mais faut quand même le faire. Car, une fois niée l’existence de Dieu, on peut sortir prendre l’air. Gonflé à bloc, la tête haute, prêt à affronter le monde extérieur. En définitive, ce n’est pas plus chiant que de remettre, chaque matin, ses chaussures. Mais supposons que je décède à l’improviste, je ne regretterais qu’une chose ne plus pouvoir tartiner de la copie. Car écrire vaut mieux que boire. D’ailleurs, lorsqu’on boit en écrivant, ce ne sont pas les mots mais les murs qui dansent. Au fond, peut-être que l’enfer existe ? Si oui, qu’on y réserve ma place. Et vous savez quoi ? N’y manquera aucun poète, tous liront leurs œuvres, et je serai bien forcé de leur prêter attention. Oui, je me prendrai en pleine gueule leur ostentatoire afféterie, leur surabondante autosatisfaction. Tel sera mon enfer s’il s’en trouve un quelque part un cercle de poètes bavant à l’infini…
Toujours est-il que la journée a été particulièrement affreuse. Ma martingale, qui d’ordinaire fonctionne plutôt bien, m’a lâché. Les dieux avaient brouillé les cartes. Dénaturant la marche du temps et m’expédiant dans quelque machine à décerveler. À ceci près cependant que le temps n’est fait que pour être gaspillé. Comment d’ailleurs pourrait-il en aller autrement ? On ne roule pas toujours à tombeau ouvert. Parfois, il faut savoir freiner si l’on souhaite redémarrer. Tantôt je décroche la lune, tantôt je sombre dans un trou noir. Dites-moi, est-ce que vous avez un chat ? Voire plusieurs ? Eh bien, mes mignons, contemplez-les et voyez combien ils en écrasent. Jusqu’à vingt heures par jour. Et regardez comme ils sont beaux. Ils savent qu’il est inutile de s’exciter sur quoi que ce soit. Excepté leur gamelle. Quitte à tuer, dans l’intervalle, un plus petit que soi. Quand les forces du destin se liguent contre moi, je m’oblige à observer un chat. J’ai le choix puisque j’en héberge neuf. Il me suffit de fixer mon attention sur l’un d’entre eux plongé dans un profond sommeil, ou à demi éveillé, pour que je torde le cou à l’angoisse. L’écriture passe aussi par les chats. Elle se nourrit de notre mutuel face à face. Ils me décompressent. Sans que j’aie besoin de m’y attarder. Juste le temps d’être en mesure de rebrancher les circuits et d’emballer derechef le moteur. Je n’arrive pas à comprendre les écrivains qui décident de laisser tomber. Comment supportent-ils la vie ensuite ?
Bref, aujourd’hui, désolation et putréfaction suintaient de partout là-bas mais, sitôt franchie la porte de mon chez-moi, j’ai su que, selon toute vraisemblance, j’y retournerais le lendemain. Vous vous demandez ce qui explique cette contradiction ?
La force de l’habitude sans doute, cette routine qui guide nos pas. Un endroit où aller, un truc à faire. Le rail que nous suivons dès la naissance. Sortir de là pour entrer ici. Des fois qu’il y aurait quelque chose d’intéressant à reluquer. Le type même du rêve stérile. Il a été le mien du temps où je levais des filles dans les bars. Je me disais peut-être que celle-ci sera la bonne. Encore un réflexe routinier. Tenez, même pendant l’acte, je ne cessais de me répéter que je sacrifiais au train-train. Que j’exécutais le programme supposé être le mien. Mais, grotesque ou pas, fallait assurer. Et d’ailleurs, que faire d’autre ? Bon, c’est vrai, j’aurais pu dételer. Me laisser glisser sur la moquette et mettre les points sur les « i ».

Charles Bukowski, Le capitaine est parti déjeuner et les marins se sont emparés du bateau, Traduit par Gérard Guégan, © Éditions Grasset & Fasquelle, 1999.💖

jeudi 26 mars 2020

Rions un peu avec Mimil... #3

Arrête de picoler, Ernst ! T'es bourré ! (Cioran & E.Jünger)
Emil Cioran, Entretien avec Jean-François Duval, juin 1979.

Votre premier amour...



Alexandre SoljenitsyneL'Archipel du goulag, Édition abrégée, Editions Points.💖

mercredi 25 mars 2020

mardi 24 mars 2020

dimanche 22 mars 2020

Rions un peu avec Mimil... #1

Pendant cette période d'infamie, d’épidémie, de pandémie, de pénurie, d'un-mètre-pas-moins et surtout de solitude sociale, pourquoi ne pas rire un peu et se tartiner du baume au cœur ? J’essayerais ici, dans la mesure du possible, pendant cette période de confinement gouvernemental obligatoire, de publier un post le plus régulièrement possible pour vous dilater la rate et pour que vous puissiez sonoriser votre quartier par un grand éclat de rire!
N'hésitez-pas à faire la même chose chez vous… (@Knulp)
Rions un peu avec  Emil… Emil Cioran bien sûr !  Ce grand déconneur devant l'Eternel ! Ce grand clown mystique !… Qui, j’en suis certain, vous fera rire à gorge déployée. Car, comment ne pas être pris d’une  bonne poilade mystique aigüe à l’évocation de ces titres : “Sur les cimes du désespoir”, “Le Crépuscule des pensées”, “Bréviaire des vaincus”, “Syllogismes de l'amertume”, “La Tentation d'exister”, “De l'inconvénient d'être né”, “Le mauvais démiurge”, “Écartèlement”, “Précis de décomposition” (surtout en ce moment).
Après, si vous ne trouvez pas ça drôle, j’ai envie de dire, c'est votre problème…

Un petit jeu ? Qui suis-je ?
Fenêtre sur le rien 1941-1945 (à ne pas confondre avec "Fenêtre sur cour") @Art et Fenêtres.

mardi 17 mars 2020

samedi 14 mars 2020

Par la grâce de cette musique ruisselante...

Gaïto Gazdanov
"(...)
   Quelques temps plus tard je me rendis au cabaret dont Suzanne m’avait parlé et que son mari fréquentait. Dans ma vie, il y a eu un certain nombre de choses auxquelles je n’ai pas pu résister : quelques livres dont, sitôt qu’ils me tombaient entre les mains, je ne m’arrachais plus; le visage d’une femme que j’ai vu devant moi pendant quelques années, dès que je fermais les yeux, où que je me trouvasse et quoique je fisse; la mer en faisait partie également, et la neige et la musique enfin, chantée avec accompagnement de guitare ou d’orchestre : les cahots d’une chanson tzigane avec sa tristesse poignante, ou la mélancolie d’une romance russe. J’en connaissais par coeur les paroles, souvent incongrues et ridicules, impensables dans aucun poème digne de ce nom : ces séparations, ces rêves, ces enchantements, ces chaînes, ces départs, ces fleurs, ces champs, ces larmes et ces regrets, qui froissent le bon goût; pourtant, derrière ces mots, on percevait une tristesse slave, invincible, par la grâce de cette musique ruisselante, sans laquelle le monde ne serait pas tel que je l’avais créé. Ce charme singulier et désespéré se dégageait de la mélodie qui évoluait en spirale, dépassait, à chaque nouvelle progression, les émotions effleurées auparavant qui s’essayaient, dans un effort pénible et vain, à suivre les notes qui s’éloignaient et s’envolaient lentement. On songeait aux arbustes qui — par un temps orageux où ce qui n’a pas été créé immobile se laisse irrésistiblement emporter — ploient sous le vent comme s’ils s’efforçaient de le rattraper. Cette plainte musicale suscitait également les images d’un monde révolu qui s’inscrivaient dans cette période allant de la fin du XIXe au début du XXe siècle, lorsque le temps s’écoulait lentement et que l’histoire d’une seule passion, même insignifiante, pouvait remplir une vie entière. Elle faisait surgir des impressions lointaines : des champs d’été et des jardins au clair de lune, l’odeur des fleurs et du foin, l’éclat bleuâtre de la neige cassante comme du verre, les cochers, les chevaux, les arcs des limonières, les grelots, les ombres sonores qui font parvenir jusqu’à nous des souvenirs qui ne nous appartiennent pas, de personnes depuis longtemps disparues et que nous n’avons jamais connues. Mais surtout, cette musique provoquait un épuisement sensuel très particulier, auquel se mélait une rage sans objet qui n’était comparable à rien. Dans cet état, il arrive qu’on agisse comme on ne doit pas le faire, qu’on prononce des paroles qu’il ne faut pas dire, qu’on cède à la tentation irrésistible de quelque erreur irréparable."

Gaïto Gazdanov, Chemins noctures, p.250-251, Editions Viviane Hamy.💖

On peut aussi remplacer "musique" par "littérature"...

mardi 10 mars 2020

En attendant Fonfonse...

Viens de paraître...
Un gamin de Paris devenu auteur populaire. « Le soleil ne brille jamais autant qu'un matin de levée d'écrou. » Alphonse Boudard avait acquis dans ses années de galère le goût des choses simples. Né de père inconnu et d'une mère qui le confie dès la naissance à un couple de paysans, il a vécu l'humiliation et la misère sous l'Occupation, avant de rejoindre la Résistance et de participer à la Libération de Paris. Il n'aura ensuite de cesse d'échapper aux usines auxquelles il était destiné, et ses mauvaises fréquentations le conduiront une première fois en prison - dont il sortira gravement malade. Pendant près de dix ans, il alterne les séjours dans des cellules putrides et les salles communes de sanatoriums guère plus engageantes. Il y connaîtra la plus noire débine et les mauvais traitements. Mais il y croise aussi les vedettes des faits divers de l'après-guerre et y lit les meilleurs auteurs, qui lui permettent de s'échapper de ses six mètres carrés de béton. Au fond du trou, entre deux hostos, deux interrogatoires, deux condamnations, il trouvera la force de devenir écrivain en publiant La Métamorphose des cloportes (1962), devenu un classique du film policier. Deux romans, La Cerise (1963, prix Sainte-Beuve) et L'Hôpital (1970), vont faire de lui un des auteurs les plus populaires de son époque. Premiers jalons d'une autobiographie qui est aussi un tableau sans fard de la France. Maître du bitume parisien (L'Argot sans peine, 1970), il avait décidé une fois pour toutes de faire rire ses lecteurs avec les plus terribles histoires. Mais Boudard, c'est aussi le dialoguiste de Gabin, de Lino Ventura... Un mémorialiste hors pair (Mourir d'enfance, 1995, grand prix de l'Académie française), des amitiés indéfectibles et le goût du bonheur dans les pires circonstances. Il meurt à 75 ans, après avoir lancé un dernier « Merde à l'an 2000 », comme un ultime coup de revolver avant de rendre les armes. Retour sur le parcours exceptionnel d'un gamin de Paris devenu un héros de roman et l'inventeur de sa propre vie.

Démêlant le vrai du faux de cette existence soigneusement romancée, Dominique Chabrol retrace le parcours d’un gamin de Paris devenu l’inventeur de sa propre vie – dont quelques-uns des personnages se nommaient Céline, Paraz, Gabin, Ventura, Simenon, Brassens, Audiard ou Nucéra.

Dominique Chabrol, Alphonse Boudard, une vie à crédit, Editions Ecriture, Janvier 2020, 464 pages.

Source
On en parle ICI & ICI.

"(...) Après le kinographe, on sirotait des alcools dans un club… Je m’emmerdais alors à dépérir. Douce pénombre, trompette sangloteuse… ça me fout le noir à l’âme… le vague ! Je manque de toc pour aller me remuer le prosinard sur la piste… “Tu ne sais pas t’amuser, mon coeur.” Petite concession au slow, c’est pas fatiguant… bien obligé…
“Tu danses bien quand tu veux, mon chéri…”
Je pensais que c’était préférable de faire carrément le julot… On passe relever ses compteurs… Quelques mandales, coups de pompe ! Plus de mon amour !... “Ta monnaie vite ! ton carbure salope, et retourne aux asperges, que je te revoies pas avant vingt sacs !” Simplicité, lignes pures… en maquerotage comme en Art, que ce soit net. Jadis j’aurais pu me lancer dans la carrière. Je n’avais pas vingt ans, ça se présentait comme des petits fours sur un plateau. A cette époque je préférais de Gaulle." (La Cerise)

"(...) mais dans l’ensemble elle se tenait de la fesse et du téton. Beau raconter ceci cela que le pognon ne fait rien à l’affaire, il lui avait tout de même permis de tenir la rampe avec le sport, les soins esthétiques… genre lifting… les onguents magiques… et surtout, mais cela elle n’en avait pas conscience, parce qu’elle n’avait jamais été soumise aux lois du Dieu Travail. Se décaniller du lit aux aurores… se faire coincer dans le métro entre les voyageurs repoussant de la gueule et des arpions… l’atelier qui bourdonne comme une ruche bien sûr… la cadence à tenir… la cantine où l’on se fabrique plutôt de la mauvaise graisse que la silhouette haricot vert de M’sieur Dior. Pour s’extirper de la mouscaille prolétarienne, lorsqu’on est belle môme, on peut éventuellement se mettre le cul en position de tirelire… D’ici que ça devienne un coffre-fort faut tout de même en écosser sérieux…" (Chère Visiteuse)

"(...)
- Fumez bandes de tantes ! C’est du belge !
Volte-face biroute en pogne. Il dirige son jet vers le Dodge... Il lissebroque haut... dru... glorieux... puissant !
- Et vive ma gaule ! Je vous encule tous !
Voila... Net et sans bavure... La stupeur passée, les G.I.’s se fendent de plus belle. Ils l’acclament... Bravo ! Hip ! Hip ! Hip ! Hourrah !... Eféfay ! Hourra Eféfay ! Calmement, il range sa chopotte, se reboutonne. Il peut l’exhiber, je reconnais... il est monté, l’adjudant Gaspard, impossible de ne pas tomber dans l’expression toute faite... comme un véritable bourricot !
[...] En érection ça doit effaroucher plus d’une gonzesse et pas que les fillettes pucelles... les mères de famille aussi, je suis sûr... jusqu’aux putes, il nous le dira par la suite... Certaines le remboursent dès qu’il leur présente son objet. Ça surprend un braquemart pareil sur ce mec plutôt petit, malingre, rabougri. Son blaze, d’ailleurs, lui va quart de poil. En argot, je précise pour les lecteurs tout à fait caves, les demoiselles snobs du Ranelagh, les provinciaux, les séminaristes... un gaspard c’est un rat.
(...)
Jeunot, tout vous est prétexte pour déconner à pleines marmites. La cause est entendue, n’importe laquelle... toc ! c’est la bonne ! Dans mon quartier... le XIIIe, c’était avant-guerre plutôt l’ambiance en casquette... Commune de Paris... L’Internationale et les meetings antifascistes. Les permanences Doriot-Déat n’avaient pas eu gros succès... non plus la légion contre le bolchevisme. L’idée me serait pas venue d’aller tâter l’aventure en uniforme vert-de-gris sur les bords de la Volga. Le Maréchal grand-papa gâteux, je le trouvais pas non plus très bandant... j’aimais pas son genre voilà tout. Peut-être court comme explication... n’allant pas très loin, ni profond... j’admets. Rétrospectif je devais me creuser à la Camus... vous baver des majuscules... ça me poserait parmi les élites. Je loupe l’occase délibéré. A dix-huit piges on s’engage beaucoup plus facile qu’à quarante, voila tout." (Bleubite)

Alphonse Boudard

dimanche 8 mars 2020

Mon pauvre papa...

1er juillet 1962,

   Nous revenions d’une visite chez notre cousine Simone. Je prends le Journal du Dimanche à la station Michel-Ange-Auteuil. Je jette un coup d’oeil en première page, vois l’annonce du suicide de Larminat, puis ce nom : René Julliard. Je me dis : “Tiens, qu’est-ce qu’il a encore fait ?“ Hélas, il était mort... Je reste là, pétrifié, un frisson, glacé dans le dos, n’en croyant pas mes yeux. “Informations page B...” Où est la page B ? Je tremble de tous mes membres, le papier tremble, les lettres se brouillent. J’ai envie de pleurer. Je pense à lui, à moi, je le plains, je me plains, je me sens comme lui. Roger Rudigoz est mort. Non, ce ne serait pas en première page. Pourtant, dans le fond, c’est pareil. Un homme qui me soutenait, qui croyait en moi, qui aimait ce que j’écris...
   Le métro arrive. Nous montons. Je dis à Annie : “Regarde.” Elle prend le journal. Aude lit pardessus son épaule. Nous nous regardons. “Mon pauvre papa, me dit Aude, tu n’as pas de chance.”
   J’ai envie de parler aux gens, de leur dire : “René Julliard est mort. Vous comprenez ? René Julliard...”
   Les stations défilent. On change à Opéra.
   Il y a quelques jours je lui écrivais : “Que le Destin vous protège !” Et lui, dans sa réponse : “Courage ! On gagnera !“
   Dire que j’ai publié Saute le temps, où je le couvre de brocards, juste l’année de sa mort !
   Il m’avait invité à déjeuner, puis il a été pris à droite, à gauche. Je l’ai revu. Il m’a dit : “Je n’oublie pas notre déjeuner.” J’aurais dû lui forcer la main. On devrait penser à la mort quand on est avec ses amis, ne pas perdre de vue le rideau qui bouge derrière les êtres que nous aimons.
   Que faut-il faire ? Dois-je aller demain chez lui ? Dois-je voir Mme Julliard  ? Mais que lui dire ? Qui va diriger la maison ? Qui va remplacer cet homme qui croyait en moi ?
   Je pense à moi tout le temps. Pour lui, la comédie est finie.
   Il est couché là-bas, rue de l’Université, où je lui ai écrit si souvent, et, la semaine dernière, deux ou trois fois par jour. Je n’écrirai plus jamais son nom sur les enveloppes.
   Je relis le journal, je le relis, j’approche la feuille de mes yeux ou bien je la regarde en tendant les bras. René Julliard est mort. Impossible de comprendre le sens de cette petite phrase. Impossible. Il y a là quelque chose qui m’échappe complètement.
   ... Annie vient me demander de l'aider à plier des draps. Je ne peux pas. Je les passe à Aude. Ces draps, ce soir, non, non, impossible !
   Furieux, mécontent, mécontent de moi, ne sachant que dire, qu’écrire, ne comprenant rien à rien, me répétant stupidement que Julliard est maintenant près de moi, qu’il me défendra, qu’il me sera favorable. Réaction de sauvage, de cannibale, de paysan, c’est inouï !
   Je me souviendrai de ce soir à Michel-Ange-Auteuil.
   ... Le 1er juillet, juste le jour de la proclamation de cette indépendance algérienne pour laquelle il a lutté contre vents et marées.
   Il est mort ce matin à dix heures. J’étais sur mon lit, rêvassant. Une belle lumière tombait de la fenêtre. Le ciel était bleu. Je regardais mes doigts de pied.

Roger Rudigoz, A tout prix, journal d'un écrivain, Editions Finitude.💖

samedi 7 mars 2020

La femme est le prisme de cristal...

Pitigrilli (Dino Segre)
(...)
   Il savait que les filles commencent par des retards de cinq minutes et finissent par des retards de quinze jours et même davantage. Toute la morale sexuelle, au fond, ne tend qu’à conjurer, chez les filles, le danger des retards.
(...)
  C’était une jolie femme. Elle avait dit être mannequin chez un grand couturier du quartier de l’Opéra. Fraîche, élégante, décorative, elle avait toutes les qualités requises pour faire une amante idéale. On ne peut vivre sans maîtresse à l’étranger. Celui qui ne réussit pas à en trouver une est obligé, au bout d’un mois, de retourner dans son pays.
   Celle-là était la femme qui ferait oublier la patrie, changer de résidence, renier votre nationalité.
  Dès qu’un homme seul arrive dans un pays étranger, il éprouve une désolante impression de solitude. La pensée revient, insistante, au paysage, aux rues, aux murs qu’il a quittés. Mais s’il rencontre une femme prête à se donner, elle constitue aussitôt pour lui un monde nouveau, une patrie nouvelle ; sa tendresse, sincère ou simulée, forme autour de lui une sorte de capsule protectrice. C’est une espèce d’exterritorialité, une sorte de droit d’asile. La femme est pour l’exilé un morceau de sa terre en terre étrangère. Le commissariat de l’émigration devrait instituer aux frontières un service de femmes pour les émigrants solitaires.
(...)
   La femme est le prisme de cristal à travers lequel il faut regarder les choses pour les trouver belles.
(...)
   Les femmes, dans notre coeur, sont comme les affiches sur les murs. Pour cacher la première, on colle par-dessus une autre affiche qui la recouvre entièrement. Peut-être que, sur le moment, quand la pâte est encore fraîche et le papier encore humide, à travers la seconde on continue d’entrevoir vaguement, par transparence, les couleurs de la première. Mais bientôt il n’en reste plus trace. Et lorsque la seconde se décolle, elles tombent ensemble toutes deux, vous laissant la mémoire et le coeur nus comme un mur.

Pitigrilli, Cocaïne, 1921, Editions Séguier.💖

dimanche 1 mars 2020

Heureux ceux auxquels le bordel suffit...

Humour, hasard ou prescience ?... voir la pancarte !
Chacun possède ses raisons pour s’évader de sa misère intime et chacun de nous pour y parvenir emprunte aux circonstances quelque ingénieux chemin. Heureux ceux auxquels le bordel suffit !
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit.