1er juillet 1962,
Nous revenions d’une visite chez notre cousine Simone. Je prends le Journal du Dimanche à la station Michel-Ange-Auteuil. Je jette un coup d’oeil en première page, vois l’annonce du suicide de Larminat, puis ce nom : René Julliard. Je me dis : “Tiens, qu’est-ce qu’il a encore fait ?“ Hélas, il était mort... Je reste là, pétrifié, un frisson, glacé dans le dos, n’en croyant pas mes yeux. “Informations page B...” Où est la page B ? Je tremble de tous mes membres, le papier tremble, les lettres se brouillent. J’ai envie de pleurer. Je pense à lui, à moi, je le plains, je me plains, je me sens comme lui. Roger Rudigoz est mort. Non, ce ne serait pas en première page. Pourtant, dans le fond, c’est pareil. Un homme qui me soutenait, qui croyait en moi, qui aimait ce que j’écris...
Le métro arrive. Nous montons. Je dis à Annie : “Regarde.” Elle prend le journal. Aude lit pardessus son épaule. Nous nous regardons. “Mon pauvre papa, me dit Aude, tu n’as pas de chance.”
J’ai envie de parler aux gens, de leur dire : “René Julliard est mort. Vous comprenez ? René Julliard...”
J’ai envie de parler aux gens, de leur dire : “René Julliard est mort. Vous comprenez ? René Julliard...”
Les stations défilent. On change à Opéra.
Il y a quelques jours je lui écrivais : “Que le Destin vous protège !” Et lui, dans sa réponse : “Courage ! On gagnera !“
Il y a quelques jours je lui écrivais : “Que le Destin vous protège !” Et lui, dans sa réponse : “Courage ! On gagnera !“
Dire que j’ai publié Saute le temps, où je le couvre de brocards, juste l’année de sa mort !
Il m’avait invité à déjeuner, puis il a été pris à droite, à gauche. Je l’ai revu. Il m’a dit : “Je n’oublie pas notre déjeuner.” J’aurais dû lui forcer la main. On devrait penser à la mort quand on est avec ses amis, ne pas perdre de vue le rideau qui bouge derrière les êtres que nous aimons.
Que faut-il faire ? Dois-je aller demain chez lui ? Dois-je voir Mme Julliard ? Mais que lui dire ? Qui va diriger la maison ? Qui va remplacer cet homme qui croyait en moi ?
Je pense à moi tout le temps. Pour lui, la comédie est finie.
Il est couché là-bas, rue de l’Université, où je lui ai écrit si souvent, et, la semaine dernière, deux ou trois fois par jour. Je n’écrirai plus jamais son nom sur les enveloppes.
Je relis le journal, je le relis, j’approche la feuille de mes yeux ou bien je la regarde en tendant les bras. René Julliard est mort. Impossible de comprendre le sens de cette petite phrase. Impossible. Il y a là quelque chose qui m’échappe complètement.
... Annie vient me demander de l'aider à plier des draps. Je ne peux pas. Je les passe à Aude. Ces draps, ce soir, non, non, impossible !
... Annie vient me demander de l'aider à plier des draps. Je ne peux pas. Je les passe à Aude. Ces draps, ce soir, non, non, impossible !
Furieux, mécontent, mécontent de moi, ne sachant que dire, qu’écrire, ne comprenant rien à rien, me répétant stupidement que Julliard est maintenant près de moi, qu’il me défendra, qu’il me sera favorable. Réaction de sauvage, de cannibale, de paysan, c’est inouï !
Je me souviendrai de ce soir à Michel-Ange-Auteuil.
... Le 1er juillet, juste le jour de la proclamation de cette indépendance algérienne pour laquelle il a lutté contre vents et marées.
Il est mort ce matin à dix heures. J’étais sur mon lit, rêvassant. Une belle lumière tombait de la fenêtre. Le ciel était bleu. Je regardais mes doigts de pied.
Roger Rudigoz, A tout prix, journal d'un écrivain, Editions Finitude.💖
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