|
Bohumil Hrabal |
"(...) L’écrivain doit être, en premier lieu, lecteur de lui-même. L’écrivain doit se distraire en écrivant. Par ses textes il doit découvrir des choses qu’il ignore et non pas exprimer son moi exorbité.
A l’escabeau s’agrippe un vieillard en blouse bleue et en escarpins blancs, un brusque battement d’ailes dans un nuage de poussière, Lindbergh a traversé l’Océan.
J’arrête le bouton vert ; dans la cuve pleine de vieux papiers, je m’arrange une petite tanière, eh oui, je reste un gaillard, je peux être fier de moi, n’avoir honte de rien… Tel Sénèque entrant dans sa baignoire, je passe une jambe, j’attends un peu, l’autre jambe retombe lourdement, je me roule en boule, pour voir, puis à genoux, j’enfonce le bouton vert et me blottis dans le capiton de livres et de papier, dans une main je serre fort mon Novalis, le doigt posé sur la phrase bien-aimée, aux lèvres un sourire béat, car je commence à ressembler à Marinette et à son ange… Voici que j’entre dans un monde totalement inconnu, je tiens le livre, la page… Tout objet aimé est au centre du paradis terrestre, c’est écrit… Et moi, plutôt que d’emballer du papier vierge au sous-sol de l’imprimerie Melantrich, j’ai choisi ma chute, ici, dans ma cave, dans ma presse, je suis Sénèque et Socrate, voici mon ascension et, même si la paroi me plaque les jambes sous le menton ou pis encore, je ne me laisserai pas chasser du paradis, je suis dans mon souterrain dont nul ne peut m’exiler, on ne me fera pas changer de place, la tranche d’un livre me transperce les côtes, une plainte m’échappe, me suis-je soumis à la torture pour y découvrir l’ultime vérité ?
Le poids de la presse me plie en deux comme un canif d’enfant… En cet instant, je vois ma Tsigane, cette petite dont je n’ai jamais su le nom, je vois très nettement le Mont-Chauve, nous lançons le cerf-volant dans le ciel d’automne, elle tient le fil… Je regarde tout en haut, le cerf-volant possède mon visage douloureux et la Tsigane envoie un message le long du fil, d’en bas je vois qu’il progresse par saccades, le voici à ma portée, je tends la main… Il y avait écrit, en grosses lettres enfantines : ILONKA. Oui, c’était son nom, maintenant, j’en suis sûr."
Bohumil Hrabal,
Une trop bruyante solitude.💖