jeudi 3 octobre 2019

Si ça peut vous faire plaisir, je veux bien être chuif...

21 juin
- J'ai eu un moment de trouille quand on est passé devant l'expert aryen. Les copains, il les avait à peine regardés, mais à moi, il m'a dit, ce mauvais, avec l'air d'être en colère : "Comment que vous appelez ? Clin ?" J'y ai répondu : "Oui, Clin Alfred, comme vous voyez sur le papier." "Et d'où que vous êtes ?", qu'il me demande. "De la Sarthe", que j'y réponds. "Et qu'est-ce que vous faites comme métier ?", qu'il me demande. "Garde-chasse", que j'y réponds. "C'est pas vrai, vous êtes chuif !", qu'il se met à gueuler, en plein dans ma figure. Et il me commande : "Laissez tomber cette couverture", et me voilà donc tout nu. Il me dit : "Couvrez-vous !..." Je me rentortille dans ma couverture. Il me dit : "Pourquoi que vous vous appelez Clin si vous n'êtes pas chuif ?" J'y réponds : "Parce que mon père s'appelle comme ça, Clin Alfred. Chez nous, vous avez toujours le même nom que votre père." Il me dit : "Et votre mère, comment qu'elle s'appelle de son nom de jeune fille ?" J'y réponds: "Ma mère, c'est une demoiselle Bastard, Marie-Louise de son petit nom." Il crie encore une fois : "Quand on s'appelle Clin, on doit être chuif !" J'y réponds : "Ecoutez, moi j'ai jamais vu de chuif, je ne sais pas ce que c'est, mais je suis pas le gars contrariant, et si ça peut vous faire plaisir, je veux bien être chuif." Là, il se marre, et puis il me dit : "A quel âge avez-vous fait votre première communion ?" J'y réponds : "A onze-douze ans. J'étais même premier en catéchisme." Il dit : "Je vous salue, Marie. Vous continuez !..." Je continue : "Pleine de grâce..." Il dit : "Arrêtez, c'est suffisant, vous êtes pas chuif, malgré que vous appelez Clin. Au suivant !..." Le suivant, il avait tout écouté. Vous vous rappelez qu'en sortant de l'expert aryen, on avait droit à la soupe ? Le suivant, il passe à la soupe après moi, et il me dit : "T'as eu tout du con de lui dire que tu voulais bien être juif, tu vois les emmerdements que tu aurais eus ?" Je lui réponds : "Non, je vois pas. Quels emmerdements ? Même que je serais juif, je suis prisonnier de guerre comme tout le monde, non ? Pourquoi que comme juif j'aurais des emmerdements de plus que les autres copains ?" Il dit : "Ce serait trop long à t'expliquer."(...) Dans la vie, on a toujours l’air d’une andouille, soit sur une chose, soit sur l’autre. (...) p.127-128

César Fauxbras, La Débâcle, Editions Allia.💖
César Fauxbras

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire