jeudi 28 février 2019

La liberté...

“On ne demande pas la liberté, mais l’illusion de liberté. C’est pour cette illusion que l’humanité se démène depuis des millénaires. Du reste la liberté étant, comme on a dit, une sensation, quelle différence y a-t-il entre être libre et se croire libre ?”
Cioran, Cahiers.

mardi 26 février 2019

Plus un boiteux à la traîne...

«[…] "L’Homme est tout juste ce qu’il mange !" Engels avait découvert ça en plus, lui malin ! C’est le mensonge colossal ! L’Homme est encore bien autre chose, de bien plus trouble et dégueulasse que la question du "bouffer". Faut pas seulement lui voir les tripes mais son petit cerveau joli !… C’est pas fini les découvertes !… Pour qu’il change il faudrait le dresser ! Est-il dressable ?… C’est pas un système qui le dressera ! Il s’arrangera presque toujours pour éluder tous les contrôles !… Se débiner en faux-fuyants ? Comme il est expert ! Malin qui le baisera sur le fait ! Et puis on s’en fout en somme ! La vie est déjà bien trop courte ! Parler morale n’engage à rien ! Ça pose un homme, ça le dissimule. Tous les fumiers sont prédicants ! Plus ils sont vicelards plus ils causent ! Et flatteurs ! Chacun pour soi !… Le programme du Communisme ? malgré les dénégations : entièrement matérialiste ! Revendications d’une brute à l’usage des brutes !… Bouffer ! Regardez la gueule du gros Marx, bouffi ! Et encore si ils bouffaient, mais c’est tout le contraire qui se passe ! Le peuple est Roi !… Le Roi la saute ! Il a tout ! Il manque de chemise !… Je parle de Russie, à Leningrad, autour des hôtels, en touriste, c’est à qui vous rachètera des pieds à la tête, de votre limace au doulos. L’individualisme foncier mène toute la farce, malgré tout, mine tout, corrompt tout. Un égoïsme rageur, fielleux, marmotteux, imbattable, imbibe, pénètre, corrompt déjà cette atroce misère, suinte à travers, la rend bien plus puante encore. Les individualismes en "botte", mais pas fondus.
Si l’existence communiste c’est l’existence en musique ; plus râlante, borgne et clocharde, plus vacharde comme par ici, alors il faut que tout le monde danse, faut plus un boiteux à la traîne. […]»

Louis-Ferdinand Céline, Mea Culpa, 1936.

dimanche 24 février 2019

Un très bon début d'année 2019... #1

Pour faire mentir K. qui pense que je finis très peu mes lectures... :D

Testé et Approuvé !


Il s'est planté sur le marché de Tel-Aviv, un panneau autour du cou : À vendre - Piotrus - vêtements compris Mme Zinn n'a pas hésité longtemps : malgré son triste état, l'homme fera parfaitement l'affaire. Il aura la tâche de s'enfermer dans les toilettes tout le jour pour empêcher ses locataires d'y entrer et les pousser ainsi vers la sortie. Un volume d'encyclopédie suffira à l'occuper. Que faut-il avoir subi, qu'attend-on de la vie et de soi-même pour accepter ainsi de lier son sort à celui d'un trône interdit aux voisins? La jeune Batia qui, de temps à autre, vient le tirer de son néant et l'ensorceler le sauvera-t-elle de sa tentation du gouffre? Tragi-comédie sans pareille imaginée par un Polonais, héritier de Schulz et Gombrowicz, réfugié en Israël, farce philosophique composée dans un style syncopé, Piotrus est un roman inoubliable, météorite noire et brûlante qui classe son auteur inconnu dans la caste maudite des visionnaires de son siècle. 


Un roman très court, grotesque, absurde, loufoque, politiquement incorrect, mais avec un humour noir grinçant, provocant jusqu'au sordide, dans un style au scalpel... La deuxième partie, plus «classique», m'a moins passionné.
Extrait 1
Extrait 2


Cookie Mueller est née en 1949, à Baltimore, dans une famille de la classe moyenne américaine. Après un détour par le San Francisco hippie, elle devient une des actrices fétiches du réalisateur John Waters dont l’univers décalé colle parfaitement au sien. Elle est une figure incontournable de l’underground new-yorkais des années 70 et 80. Actrice, écrivain, danseuse, critique d’art, c’est une touche-à-tout de génie qui est de toutes les fêtes. Elle meurt du SIDA en 1989.
Devant l’objectif des plus grands photographes, des plus grands cinéastes, elle excellait à être simplement Cookie. L’inoubliable, la touchante Cookie Mueller, égérie de l’avant-garde new-yorkaise des années 70 et 80. Lors de soirées devenues mémorables, elle exerçait ses fabuleux talents de conteuse. Tous se délectaient de ses aventures extraordinaires, de ses souvenirs de l’époque où elle était la bad girl du lycée jusqu’à ses anecdotes de tournage avec John Waters, en passant par les épisodes sa vie californienne, lorsqu’elle côtoyait Janis Joplin ou un certain Jim Morrison. Et quand un jour, elle s’est enfin décidée à mettre tout ça par écrit, on s’est aperçu qu’un écrivain était né. Quel style, quel naturel, quelle verve, quelle fantaisie ! Lire Cookie Mueller aujourd’hui, c’est retrouver l’insouciance, goûter la liberté, tâter de la sauvagerie, risquer la tendresse. Elle écrit « cash », comme elle a vécu. On aurait tant aimé la connaître.

Une vraie découverte ! Cookie Mueller nous conte quelques épisodes de sa vie dans l’Amérique Underground, des années 70 et 80… Passionnant, dans une style direct, vif, road-moviesque, c’est souvent déjanté, rocambolesque, un peu trash par moment mais pertinent.
Elle a surtout un vrai regard intelligent sur le monde qui l’entoure et un style toujours bourré d’humour, d'ironie… même pour narrer des anecdotes borderlines ; la drogue et une rencontre ratée avec Charles Manson, un enlèvement, une tentative de viol, un viol, un accouchement apocalyptique (mais hilarant), un film avec John Waters, une enfance douloureuse…
Bref, en 160 pages, vous avez :  "Des conseils de coiffure et des recommandations de maquillage, quelques techniques d'auto-stop, plusieurs tactiques astucieuses pour échapper à un viol, une critique de l'accouchement sans douleur, une réflexion sur l'investissement des acteurs dans le cinéma à petit budget, le récit d'un incendie et celui d'un sauvetage en mer, un guide de voyage en Italie, des trucs et astuces pour l'apprentissage du go-go dancing, une méthode de conversation avec un serial-killer, un inventaire des bons réflexes en cas d'overdose, la marche à suivre pour apitoyer un douanier, un ABC d'escalade des murs de Berlin-Ouest, et la plus déchirante des lettres d'adieu".
C’est tellement  une conteuse géniale, tellement un réel plaisir de lecture, que j’en aurais bien lu le double !
Mais, heureusement, je viens de découvrir que les éditions Finitude vont très bientôt sortir une nouvelle fournée : « Comme une version arty de la réunion de couture ».
Pour public averti.
On étaient prêtes à manger de la merde, à prendre feu, à baiser des poules, mais on ne nous ferait pas montrer nos chattes en gros plan. Fallait bien qu'une ligne soit tracée quelque part.
"Moi, je dois montrer ma bite, a dit David.
- Mais il y aura un cou de dinde noué autour, répliqua Mink, ça ne compte pas.
- Elizabeth va montrer ses nichons et sa bite, David. De quoi tu te plains ?" est intervenu Divine, ce qui nous a tous mis d'accord.


Ce livre n'est pas un roman. Ici, nulle place pour l'imagination. La zone d'une grande ville, des baraques, le terrain vague, les cris, les coups, la crasse, l'alcool, la sexualité, la brutalité et l'ignorance, la perversité, les jeux cruels des enfants désœuvrés, tout est vrai. Vrai, aussi, le personnage du maître d'école, cherchant à leur donner le goût et l'ambition de la dignité humaine. "Je n'ignore point, dit l'auteur, que ces pages n'ont de valeur qu'en vertu de l'émotion qui, si toutefois j'y réussis, doit sourdre de cette succession de scènes, de faits, tous réels que j'ai dépeints." Salué comme une révélation en 1952, Requiem des innocents est le premier livre de Louis Calaferte. Il garde aujourd'hui toute sa virulence et demeure un des grands cris de révolte contre la misère et l'injustice du monde moderne.

Un choc ! Une sorte de « Mort à crédit » anorexique (200 pages au lieu de 600) mais en plus dur, plus cruel, plus troublant, plus choquant, plus cru… (Avec cette scène de quasi viol/dépucelage dans un dépotoir). Même si, comme pour « Mort à crédit », il est permis de douter de la véracité autobiographique du récit. Un vrai écrivain « célinien », avec ce même goût de l’aphorisme, du bon mot, de la petite phrase…
Pour public doublement averti.

"La boisson c'est l'hostie du pauvre."

"On ne lisait pas chez nous. Ni les revues ni les journaux. On avait assez à faire de vivre. Ça nous prenait tout notre temps."

"Mon frère Lucien fit mieux : il ne céda pas au fil de laiton destiné à le tuer dans l'oeuf. Il se contenta de naître idiot."

"Pas savoir parler, c'est la fin de tout."

à suivre...

samedi 23 février 2019

Paris jolie ville... Une "belle" évocation du Paris pollué en 1937... Que dire d'aujourd'hui ?

«[…] Paris, puisque nous en sommes là, est une ville qu’on ne peut plus reconstruire, même plus aménager, d’une façon d’une autre. Les temps des rafistolages, des bricoles, des petites malices, des affûteries sont révolus… C’est une ville qu’a fait toute sa vie, qu’est devenue maintenant toute nuisible, mortelle pour ceux qui l’habitent. Le mieux c’est qu’elle reste croupir en retrait définitif en "touchant" musée, avec tourniquets si l’on veut, une exposition permanente, en arrière des événements, comme Aigues Mortes, Bruges ou Florence… Faut la démembrer tout à fait, lui laisser juste les parties mortes, tout le faisandé qui lui convient. Pour les humains c’est autre chose, ils peuvent pas vivre dans un cadavre… Paris jolie ville croupissante, gentiment agonique entre la noble Place des Vosges et le Musée Carnavalet… Parfait. L’agonie est un spectacle qui intéresse bien des personnes. Vieillarde fétide qui se disloque en susurrant des choses d’Histoire… La seule banlieue possible d’une ville de quatre millions d’habitants, c’est la mer. La mer seule assez puissante, assez généreuse, pour assainir quotidiennement ce terrible infernal ramassis, cet effrayant conglomérat de pourritures organiques, inhalantes, expirantes, chiatiques, fermenteuses, fébricilantes, virulogènes. La ville la plus malsaine du monde, la plus emboîtée, la plus encastrée, infestée, confinée, irrémédiable c’est Paris ! Dans son carcan de collines. Un cul-de-sac pris dans un égout, tout mijotant de charognes, de millions de latrines, de torrents de mazout et pétrole bien brûlants, une gageure de pourriture, une catastrophe physiologique, préconçue, entretenue, enthousiaste. Population à partir de mai, plongée, maintenue, ligotée dans une prodigieuse cloche au gaz, littéralement à suffoquer, strangulée dans les émanations, les volutes de mille usines, de cent mille voitures en trafic… Les dégagements sulfureux, stagnants de millions de chiots, absolument corrodée, minée, putréfiée jusqu’en ses derniers hémoblastes, par les plus insidieuses, les plus pernicieuses ordures aériennes… Ventilation nulle, Paris un pot d’échappement sans échappement. Buées, nuages de tous les carbures, de toutes les huiles, de toutes les pourritures jusqu’au deuxième étage de la tour Eiffel. Une cuve, asphyxiante au fond de laquelle nous rampons et crevons… Densité de pourriture vaporeuse infranchissable à tous les rayons solaires directs. La nuit, le fameux "Ouessant" lui-même avec ses 500 000 000 de bougies, sèche risible contre ce rideau de toutes les pourritures parisiennes stagnantes, parfaitement opaques. Aucune lumière ne peut percer, disperser cette bouillie. Pourriture prodigieuse, surchauffée, enrichie infiniment, pendant tous les mois de l’été, par tant d’autres saloperies permanentes, exsudats organiques, résidus chimiques, électrifiés, de millions de carburations abjectes qui nous filent tout droit dans les bronches et le trésor de notre sang. A la bonne santé pour la ville lumière ! Une poubelle gazeuse pour tortures imbéciles !… Salut ! Les humains se traînent dans Paris. Ils ne vivent plus, c’est pas vrai !… Jamais ils n’ont leur compte humain de globules, 3 à 5 milliards au lieu de 7. Ils n’existent qu’au ralenti, en larves inquiètes. Pour qu’ils sautent il faut les doper ! Ils ne s’émoustillent qu’à l’alcool. Observez ces faces d’agoniques… C’est horrible à regarder… Ils semblent toujours un peu se débattre dans un suicide… […]»

Louis-Ferdinand Céline, Bagatelles pour un massacre, 1937.

jeudi 21 février 2019

Comme une putain dans un monde sans trottoirs...


“ Quand je surprends en moi un mouvement de révolte, j’avale un somnifère ou consulte un psychiatre. Tous les moyens sont bons pour celui qui poursuit l’Indifférence sans y être prédisposé. ”

“ Prémisse des fainéants, de ces métaphysiciens nés, le Vide est la certitude que découvrent, au bout de leur carrière, et comme récompense à leurs déceptions, les braves gens et les philosophes de métier. ”

“ Je vadrouille à travers les jours comme une putain dans un monde sans trottoirs. ”

“ Toutes les eaux sont couleur de noyade. ”

“ La tristesse : un appétit qu’aucun malheur ne rassasie. ”

“ Ces heures où il me semble inutile de me lever aiguisent ma curiosité des Incurables. Rivés à leur lit, et à l’Absolu, qu’ils doivent en savoir long sur les choses ! Mais je ne me rapproche d’eux que par les virtuosités de la torpeur, par les ruminations de la grasse matinée. ”

“ Tant que l’ennui se borne aux affaires du cœur tout est encore possible ; qu’il se répande dans la sphère du jugement, c’en est fait de nous. ”

“ Pour manier les hommes, il faut pratiquer leurs vices et en rajouter. Voyez les papes : tant qu’ils forniquaient, s’adonnaient à l’inceste et assassinaient, ils dominaient le siècle ; et l’Église était toute puissante. Depuis qu’ils en respectent les préceptes, ils ne font que déchoir ; l’abstinence, comme la modération, leur aura été fatale ; devenus respectables, plus personne ne les craint. Crépuscule édifiant d’une institution. ”

“ Il n’est pas élégant d’abuser de la malchance ; certains individus, comme certains peuples, s’y complaisent tant, qu’ils déshonorent la tragédie. ”

Emil Cioran, Syllogismes de l'amertume, Folio, 1952.

mardi 19 février 2019

Humain à peu près autant que la poule vole...

«[…] Les Russes baratinent comme personne ! Seulement qu’un aveu pas possible, une pilule qu’est pas avalable : que l’Homme est la pire des engeances !… qu’il fabrique lui-même sa torture dans n’importe quelles conditions, comme la vérole son tabès… C’est ça la vraie mécanique, la profondeur du système !… Il faudrait buter les flatteurs, c’est ça le grand opium du peuple…
L’Homme il est humain à peu près autant que la poule vole. Quand elle prend un coup dur dans le pot, quand une auto la fait valser, elle s’enlève bien jusqu’au toit, mais elle repique tout de suite dans la bourbe, rebecqueter la fiente. C’est sa nature, son ambition. Pour nous, dans la société, c’est exactement du même. On cesse d’être si profond fumier que sur le coup d’une catastrophe. Quand tout se tasse à peu près, le naturel reprend le galop. Pour ça même, une Révolution faut la juger vingt ans plus tard.
"Je suis ! tu es ! nous sommes des ravageurs, des fourbes, des salopes !" Jamais on dira ces choses-là. Jamais ! Jamais ! Pourtant la vraie Révolution ça serait bien celle des Aveux, la grande purification !
Mais les Soviets ils donnent dans le vice, dans les artifices saladiers. Ils connaissent trop bien les goupilles. Ils se perdent dans la propagande. Ils essayent de farcir l’étron, de le faire passer au caramel. C’est ça l’infection du système.
Ah ! il est remplacé le patron ! Ses violences, ses fadaises, ses ruses, toutes ses garceries publicitaires ! On sait la farder la camelote ! Ça n’a pas traîné bezef ! Ils sont remontés sur l’estrade les nouveaux souteneurs !… Voyez les nouveaux apôtres… Gras de bide et bien chantants !…. Grande Révolte ! Grosse Bataille ! Petit butin ! Avares contre Envieux ! Toute la bagarre c’était donc ça ! En coulisse on a changé de frime… Néo-topazes, néo-Kremlin, néo-garces, néo-lénines, néo-jésus ! Ils étaient sincères au début… à présent, ils ont tous compris ! (Ceux qui comprennent pas : on fusille). Ils sont pas fautifs mais soumis !…Ça serait pas eux, ça serait des autres… L’expérience leur a profité… Ils se tiennent en quart comme jamais… L’âme maintenant c’est la "carte rouge"… Elle est perdue ! Plus rien !… Ils les connaissent eux tous les tics, tous les vices du vilain Prolo… Qu’il pompe ! Qu’il défile ! Qu’il souffre ! Qu’il crâne !… Qu’il dénonce !… C’est sa nature !… Il y peut rien !… Le prolétaire ? en "maison" ! Lis mon journal ! Lis mon cancan, juste celui-là ! Pas un autre ! et mords la force de mes discours ! Surtout va jamais plus loin, vache ! Ou je te coupe la tête ! Il mérite que ça, pas autre chose !… La cage !… Quand on va chercher les flics on sait bien tout ce qui vous attend !… Et c’est pas fini encore ! On fera bien n’importe quoi, pour pas avoir l’air responsables ! On bouchera toutes les issues. On deviendra "totalitaires !". […]»

Louis-Ferdinand Céline, Mea Culpa, 1936.

dimanche 17 février 2019

Contre l’encens zoologique...

Choubaka lit Emil Cioran (c)CHOUBAKA et SHADOKO
“ La chair est incompatible avec la charité : l’orgasme transformerait un saint en loup. ”

“ Après les métaphores, la pharmacie. — C’est ainsi que s’effritent les grands sentiments. ”

“ Commencer en poète et finir en gynécologue ! De toutes les conditions, la moins enviable est celle d’amant. ”

“ On déclare la guerre aux glandes, et on se prosterne devant les relents d’une pouffiasse… Que peut l’orgueil contre la liturgie des odeurs, contre l’encens zoologique ? ”

“ Dans la volupté, comme dans les paniques, nous réintégrons nos origines ; le chimpanzé, relégué injustement, atteint enfin à la gloire — l’espace d’un cri. ”

“ Deux victimes besogneuses, émerveillées de leur supplice, de leur sudation sonore. À quel cérémonial nous astreignent la gravité des sens et le sérieux du corps ! Pouffer de rire en plein râle, — unique moyen de défier les prescriptions du sang, les solennités de la biologie. ”

“ Au temps où l’humanité, à peine développée, s’essayait au malheur, nul ne l’aurait crue capable d’en produire un jour en série. ”

“ L’homme sécrète du désastre. ”

Emil CioranSyllogismes de l'amertume, Folio, 1952.

samedi 16 février 2019

C'est colombien... C'est bourrin... Mais c'est bien... (Luis Quiles)

Copyright (c) Luis Quiles
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jeudi 14 février 2019

A la Star Ac', téléréalité et consorts...

«[…] Comment éberluer, tenir dans les chaînes toutes ces viandes mornes ?… en plus des discours et de l’alcool ? Par la radio, le cinéma ! On leur fabrique des dieux nouveaux ! Et du même coup, s’il le faut, plus idoles nouvelles par mois ! de plus en plus niaises et plus creuses ! Mr. Fairbank, Mr. Powell, donnerez-vous l’immense joie aux multitudes qui vous adulent, de daigner un petit instant paraître en personne ? dans toute votre gloire bouleversante ? épanouissime ? quelques secondes éternelles ? sur un trône tout en or massif ? que cinquante nations du monde puissent enfin contempler dans la chair de Dieu !… Ce n’est plus aux artistes inouïs, aux génies sublimissimes que s’adressent nos timides prières… nos ferveurs brûlantes… c’est aux dieux, aux dieux des veaux… les plus puissants, les plus réels de tous les dieux… Comment se fabriquent, je vous demande, les idoles dont se peuplent tous les rêves des générations d’aujourd’hui ? Comment le plus infime crétin, le canard le plus rebutant, la plus désespérante donzelle, peuvent-ils se muer en dieux ?… déesses ?… recueillir plus d’âmes en un jour que Jésus-Christ en deux mille ans ?… Publicité ! Que demande toute la foule moderne ? Elle demande à se mettre à genoux devant l’or et devant la merde !… Elle a le goût du faux, du bidon, de la farcie connerie, comme aucune foule n’eut jamais dans toutes les pires antiquités… Du coup, on la gave, elle en crève… Et plus nulle, plus insignifiante est l’idole choisie au départ, plus elle a de chances de triompher dans le coeur des foules… mieux la publicité s’accroche à sa nullité, pénètre, entraîne toute l’idolâtrie… Ce sont les surfaces les plus lisses qui prennent le mieux la peinture. […]»

Louis-Ferdinand Céline, Bagatelles pour un massacre, 1937.

mardi 12 février 2019

Le Jardin des supplices - Octave Mirbeau

Présentation de l’éditeur
Le Jardin des supplices n’est pas seulement le catalogue de toutes les perversions dans lesquelles s’est complu l’imaginaire de 1900. L’ouvrage exprime aussi l’ambiguïté de l’attitude d’un Européen libéral, mais Européen avant tout, devant le colonialisme et ce qu’on n’appelait pas encore le Tiers Monde. Pour Mirbeau, la Chine est le lieu des plaisirs mortels et, par leur système pénal et l’invraisemblable raffinement de leur cruauté, les Chinois ne peuvent être à ses yeux que des barbares : Emmanuelle sur fond de guerre du Viêt-nam, comme l’écrit Michel Delon. Mais les Chinois vivent dans une société plus solidaire et matériellement moins asservie que la nôtre. Et surtout ils sont d’admirables artistes. Tel est le paradoxe de la Chine : un jardin de supplices mais aussi les plus belles porcelaines, les plus beaux bronzes que l’on ait jamais faits. " Voici donc les Barbares à peau jaune dont les civilisés d’Europe à peau blanche violent le sol. Nous sommes toujours les mêmes sauvages, les mêmes ennemis de la Beauté. "

C’est, je pense, plus une fix-up novel (des articles ou nouvelles misent bout à bout) qu’un réel roman. Trois parties se détachent : l’Homme a le meurtre dans le sang (discutions dans une assemblée), puis, critique de la politique et des politiciens (préparatif au voyage), et enfin, le Jardin des supplices (le « voyage » proprement dit). Mirbeau a vraiment une prose admirable et très ironique voire sarcastique, à prendre au troisième degré ; on ne pourrait certainement plus se moquer des politiciens comme il s’en moque ! Le Jardin des supplices est très beau en description florale et en horreur en tout genre ; aucune description de tortures ne nous est épargnée... Mais la lassitude, pour moi, vient de l’accumulation des noms de fleur ; pour un non botaniste, ce n’est pas facile de s’y retrouver. Cela reste cependant un texte très agréable à lire et souvent très drôle. Peut-être pas le premier livre pour commencer avec Octave Mirbeau.

« Prendre quelque chose à quelqu’un, et le garder pour soi, ça c’est du vol… Prendre quelque chose à quelqu’un et le repasser à un autre, en échange d’autant d’argent que l’on peut, ça, c’est du commerce… Le vol est d’autant plus bête qu’il se contente d’un seul bénéfice, souvent dangereux, alors que le commerce en comporte deux, sans aléa… » p.74

« Pour un homme d’Etat, il n’est qu’une chose irréparable : l’honnêteté !… L’honnêteté est inerte et stérile, elle ignore la mise en valeur des appétits et des ambitions, les seules énergies par quoi l’on fonde quelque chose de durable. » p.93

« Notre escorte était nombreuse, en grande partie formée d’Européens… des Marseillais, des Allemands, des Italiens… un peu de tout… Quand on avait trop faim, on abattait un homme de l’escorte… de préférence un Allemand… L’Allemand, divine miss, est plus gras que les autres races… et il fournit davantage… Et puis, pour nous autres Français, c’est un Allemand de moins !… L’Italien, lui, est sec et dur… C’est plein de nerfs…
- Et le Marseillais ?… intervins-je…
- Peuh !… déclara le voyageur, en hochant la tête… le Marseillais est très surfait… il sent l’ail… et, aussi, je ne sais pas pourquoi, le suint… Vous dire que c’est régalant ?… non… c’est mangeable, voilà tout… » p.115

«[…] en quoi consiste la guerre ?… Elle consiste à massacrer le plus d’hommes que l’on peut, en le moins de temps possible… Pour la rendre de plus en plus meurtrière et expéditive il s’agit de trouver des engins de destruction de plus en plus formidables… C’est une question d’humanité… et c’est aussi le progrès moderne… » p.121

«[…] arriver quelque part, c’est mourir !… » p.129

« Mais regardez donc !… La fleur n’est qu’un sexe, milady… Y a-t-il rien de plus sain, de plus fort, de plus beau qu’un sexe ?… Ces pétales merveilleux… ces soies, ces velours… ces douces, souples et caressantes étoffes… ce sont les rideaux de l’alcôve…. Les draperies de la chambre nuptiale… le lit parfumé où les sexes se joignent… où ils passent leur vie éphémère et immortelle à se pâmer d’amour. Quel exemple admirable pour nous ! » p.214

« Ce n’est pas de mourir qui est triste… c’est de vivre quand on n’est pas heureux… » p.220

Octave Mirbeau, Le Jardin des supplices, Editions  Gallimard/Folio - 338 pages dont une centaine de pages de préface, notes, biographie, ...

dimanche 10 février 2019

C'est japonais... C'est en biais... (Harumi Hironaka)

Copyright (c) Harumi Hironaka
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Chercher l'intruse...
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vendredi 8 février 2019

Toute gloire est risible...

" Paris : des insectes comprimés dans une botte. Être un insecte célèbre. Toute gloire est risible ; celui qui y aspire doit vraiment avoir le goût de la déchéance. "
Cioran, Cahiers.

mercredi 6 février 2019

le pire et le meilleur


Charles Bukowski, L’amour est un chien de l’enfer, 1977, Editions Grasset, Trad. G.Guéguan.

lundi 4 février 2019

Les gens n’ont rien à se dire...

Céline et Lucette au Danemark
" Autant pas se faire d’illusions, les gens n’ont rien à se dire, ils ne se parlent que de leurs peines à eux chacun, c’est entendu. Chacun pour soi, la terre pour tous. Ils essaient de s’en débarrasser de leur peine, sur l’autre, au moment de l’amour, mais alors ça ne marche pas et ils ont beau faire, ils la gardent tout entière leur peine, et ils recommencent, ils essaient encore une fois de la placer. “Vous êtes jolie, mademoiselle”, qu’ils disent. Et la vie les reprend, jusqu’à la prochaine où on essaiera encore le même petit truc. “Vous êtes bien jolie, mademoiselle !…” "
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit.

samedi 2 février 2019

L’accro - Donald Goines

Présentation de l’éditeur
"Assis dans son énorme fauteuil, il regardait les drogués aller et venir. Ils le distrayaient ; même si ce n’était pas leur intention, ils le divertissaient. Quand ils entraient chez lui et le suppliaient de leur faire crédit, il en éprouvait un sentiment de puissance. Avec les femmes, c’était encore plus fort. Dès qu’elles manquaient d’argent, son esprit diabolique, pour se divertir, leur proposait des actes toujours plus inédits et monstrueux."
Récit de la terrible descente aux enfers d’une jeune Black, superbe roman noir dans la lignée de Goodis, L’accroc, en grande partie autobiographique (et quelle vie !), est d’une telle trempe qu’il ne pouvait être l’œuvre que d’un très grand écrivain. 
Donald Goines (1937-1974) a grandi dans le ghetto de Detroit. Formé à l’école de la rue, militaire en Corée puis au Japon, il découvrira la littérature en prison après avoir braqué une banque à l’âge de dix-huit ans. Toxicomane, maquereau, dealer et trafiquant, Goines est mort abattu chez lui de plusieurs balles dans la tête. 

... De plusieurs balles dans la tête... Pour un échange de drogue qui aurait mal tourné... La rumeur insinuait que tous ses droits d'auteur finissaient directement dans ses veines...

L'accro raconte l'histoire d'un toxico qui décide de rendre sa copine dépendante pour être certain de toujours avoir sa dose. Il sait qu'il pourra toujours tirer un peu de poudre du commerce de son corps lorsqu'elle sera en manque et le livre raconte cette déchéance...
Un roman noir de chez noir sur l’enfer de la drogue. Tout y est. Plus âpre que «Ne mourez jamais seul» du même auteur. Très bon premier roman (1971), sans concession, sans espoir, sans manichéisme, ni moralisme. On est loin des drogués présentés comme des joyeux drilles chez Philip K. Dick. Ici, tout est sale, glauque, sordide. Tout le cheminement vers la dépendance à la drogue y est disséqué ("l’algèbre du besoin" chère à William Burroughs). Quelques longueurs cependant. Pour adulte très averti avec l'estomac en acier trempé.

"Elle sentait l’héroïne agir. Elle se détendit et contempla le plafond tandis que la chaleur lui inondait l’âme. C’était comme si elle partait à la dérive dans une mer d’écume. Peu après l’écume l’enveloppa dans une brume bienfaisante et le cadre sordide qui l’entourait devint une illusion. Son univers était à présent un monde de rêves dépourvu de peurs et agréable aux sens. Tant que durerait la drogue qu’elle avait sur sa commode, elle planerait dans un temps infini, sans limites, sans se soucier du passé ni de l’avenir."

"Je commence à comprendre que Dieu bénit l’enfant qui a déjà tout."

"Le dealer avait été différent, mais la technique semblable. Quand ils se rendent compte qu’on est vraiment accro, il n’y a plus d’échantillons gratuits."

"(...) on peut pas truander tout le monde toute une vie. T’en possèdes certains et y en a d’autres qui te possèdent."

"La poudre blanche avait l’air sans danger, ainsi étalée à l’air libre, mais il s’agissait de la drogue des damnés, de la malédiction de l’humanité. Si l’héroïne a des noms divers – les uns l’appellent «smack », d’autres la «blanche», le «cheval», le «tigre», le «poison» –, elle a toujours le même effet. Pour tous ceux qui en consomment, c’est la mort lente."

"Certaines personnes étaient ainsi destinées à être grosses. En prenant de l’âge il réalisa que bien des gens le craignaient simplement à cause de son physique. Il admettait lui-même qu’il ressemblait à un gorille. Mais ce qui lui procurait un réel plaisir, c’était la frayeur qu’il inspirait aux femmes. Lorsqu’il la voyait se manifester, ça l’excitait plus que toute autre chose. Rien ne lui plaisait davantage que de coucher avec une femme pétrifiée de peur."

Donald Goines, L’accro, Editions Gallimard/Folio Policier - 248 pages
Donald Goines