dimanche 17 mars 2019

Un très bon début d'année 2019... #2

Testé et Approuvé !


Emile et Louise Lecouvreur font l'acquisition de l'Hôtel du Nord, par l'intermédiaire de mercier, marchand de fonds.
Au comptoir : Philippe Goutay et sa femme. Parmi les locataires : Renée, qui est aussi la bonne de l'hôtel, et son amant, l'ouvrier Pierre Trimault, qui prend la poudre d'escampette en apprenant qu'il va être père. Des habitués, déjà : les joueurs de cartes, le père Louis et Marius Pluche ; Julot, l'éclusier du canal Saint-Martin. Des gens de passage... Des histoires... Eugène Dabit nous conte ici la vie et la mort du petit hôtel du quai de Jemmapes, encore debout aujourd'hui, et qui a inspiré à Marcel Carné l'inoubliable Hôtel du Nord, avec Arletty, Louis Jouvet, Bernard Blier... Atmosphère ! Atmosphère !... 

Comme disait l'autre : « Atmosphère ! Atmosphère !... Est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère ?!». C'est surtout un livre d'atmosphère, d’une époque disparue, très années 20, d’un temps révolu, avec une gallerie de personnages savoureux,  truculents, mais parfois fantomatiques. Très léger, ce livre se lit très facilement après un livre plus dur… peut-être un peu vieilli…

Elle l'avait rendu exigeant et difficile. La vie à deux use le coeur d'un homme. Pierre ne lui parlait plus jamais d'amour. Le dimanche, lorsqu'elle voulait sortir avec lui comme autrefois, il refusait pour aller jouer à la manille. Elle le regardait partir, les larmes aux yeux. [...]
Elle s'abandonnait à une sorte de mirage où les plaisirs de l'amour se liaient à ceux d'une vie régulière et douce.
L'argent filait et l'humeur de Trimault s'assombrissait vite. Renée attendait ses baisers comme une aumône.

Un jour de janvier 1975, Jean Meckert est allongé sur un lit de La Pitié-Salpêtrière. Il a été trouvé inanimé dans une rue de Belleville. Sorti des épreuves de l’hospitalisation qui n’effacent pas les séquelles de deux heures de coma, il veut comprendre ce qui le laisse ainsi anéanti. Commence alors une lente enquête et une profonde méditation sur son passé, puis naît peu à peu l’idée d’un roman dont le narrateur serait un écrivain devenu amnésique. Aban­donnant ses habituels personnages de série noire, le romancier choisit de faire de l’enfant qu’il fut, et que la mémoire a gardé intact alors que le souvenir des événements récents a disparu, le protagoniste de son prochain ouvrage.
La mort de la mère puis celle de la sœur de Jean Meckert vont brutalement rendre l’écriture de l’œuvre plus impérative encore, ces deux êtres disparus devenant les figures centrales de l’entreprise romanesque. La fiction se mêle alors intimement aux réalités saillantes de son existence, Jean Meckert faisant de sa biographie l’essence même de Comme un écho errant.
Adressé en 1986 aux Éditions Gallimard, l’ouvrage est chaleureusement accueilli par Roger Grenier, mais refusé par les autres lecteurs qui reprochent à Meckert de n’avoir pas choisi entre la biographie documentée et le roman psychologique.
Terminé moins d’une dizaine d’années avant la mort de l’auteur, ce roman est resté inédit jusqu’à ce jour.

Après un tabassage en règle, laissé pour mort, et un coma bien mérité, Meckert se retrouve avec un trou de mémoire de près de 20 ans !… La bonnefemme s'est barrée, le bonfils quasi inexistant, la mère vieillissante, il ne reste plus que la sœur dévouée, au quintal rassurant, pour s'occuper de son frérot amnésique… Meckert va essayé de retrouver cette mémoire perdue en se replongeant dans ses romans, pour voir si un détail, une sensation lui reviendrait… mais nada, que dalle! plus rien ! Pas même un souvenir de ces voyages effectués pour jeter la base de ses romans. Seule persiste son enfance, ses souvenirs d’enfance, qu’il va essayer de cultiver pour se reconstruire, de recouvrer la mémoire… Aussi il lui reste le plus important, qui n’a pas été touché, son côté « anar » qui lui vient de la mère et du père fusillé pour « traîtrise » envers la patrie… Déjà un bon héritage familiale… Mais qui l’amènera plus tard à cette ratonnade. Par « anar », on peut aussi entendre qui ne suit pas bêtement le troupeau de moutons humains… S’ensuivent ensuite des réflexions sur la vie, sur son individualisme, sur la reconstruction d’un être sans souvenir, sur une forme de résilience pour la survie… J’ai beaucoup aimé ce Meckert plus intime, sa prose introspective, son indépendance intellectuelle, loin des sentiers battus et rebattus… Après « Les coups », « L’homme au marteau » et quelques romans noirs, c’est une bonne (re)découverte que je vais poursuive…

Lui, il était à peine plus grand, blond à l'oeil bleu, la gouaille au coin des moustaches. Elle lui devait tout : le savoir lire-écrire, le sens de sa liberté révélée. Il lui avait appris qu'elle n'avait pas à s'écraser devant ses patrons, que le drapeau n'était que torchon médaillé, les hymnes nationaux des borborygmes de poivrots, et qu'il ne fallait pas se priver de crier : "Crois ! Crois ! Crois !" devant le pape et ses corbeaux. Probable qu'il ne lui lisait pas Proudhon ou Bakounine dans le texte, mais il l'emmenait aux réunions des petits anars de Noisy-le-Sec. C'était là que leur quartette de noces et banquets s'installait pour les répétitions hebdo, dans un hangar fermé par des traverses de voie ferrée qui existait encore vers les années 30.
Rien des crapulars sardoniques. Plutôt des marrants, aux idées "avancées". Et trois quarts de siècle plus tard les idées restaient toujours tellement avancées que le peloton n'avait jamais pu ramarrer l'échappée.


Édité chez Stock en 1945, une date qui en valait bien une autre pour un ouvrier qui n’avait pas d’ambition littéraire, Travaux est le premier livre de l’œuvre discrète mais sûre de Georges Navel. Il était préfacé par Paul Géraldy, avec qui Navel s’était lié à la faveur de quelques travaux manuels qu’il avait effectués chez lui. On songe avec amusement à la rencontre improbable entre ce dramaturge à succès de la bourgeoisie de l’entre-deux-guerres et cet ouvrier cultivé à l’esprit libertaire qui, à l’époque installé dans le Haut-Var, s’était fait apiculteur après avoir exercé mille métiers entre le Nord et le Sud, l’usine et la campagne. Juste avant la guerre, Navel avait donné des articles à L’Humanité et à Commune. Encouragé par Géraldy, Navel écrivit Travaux à partir des notes qu’il avait couchées dans des cahiers au fil de ses déplacements. Suivront les récits autobiographiques Parcours (1950), Chacun son royaume (1960) et plus tardivement Passages (1982), tous dans l’esprit de Travaux, et surtout Sable et limon (1952), ouvrage composé de lettres écrites au philosophe Bernard Groethuysen. (c)François Ouellet
Un des livres les plus beaux inspiré par la condition ouvrière. Travaux, paru au lendemain de la guerre, en 1945, est tout de suite devenu un classique. Les critiques ont comparé Georges Navel à Gorki, à Panaït Istrati, à Eugène Dabit, à Charles-Louis Philippe. Mais Navel fait entendre une voix qui n'appartient qu'à lui. Comme l'a écrit Jean Giono : «Cette patiente recherche du bonheur qui est la nôtre, nous la voyons ici exprimée avec une bonne foi tranquille.»

Encore un écrivain prolétaire dans mon panthéon des écrivains prolétariens. Ça commence vraiment à devenir une habitude… 
C’est un formidable roman sur la condition ouvrière, sur la condition humaine, où, par sa poésie et son écriture, Navel magnifie le travail manuel, ses joies et ses peines, la chaleur humaine, la camaraderie, les plaisirs partagés… Mais c’est sans compter sur la solitude, l’enfermement insupportable et un certain désenchantement par moment néanmoins non dénué d’une lueur d’espoir…
On suit avec plaisir son enfance, sa scolarité, son apprentissage très tôt d’ouvrier, les guerres traversées, ses divers métiers exercés à travers la France : ouvrier dans la métallurgie, manoeuvre sur les chantiers de construction, cueilleur de fruits, jardinier, terrassier… 
Un grand livre par un homme qui s’est « improvisé » écrivain. (Un chef-d‘œuvre?)
C’est le pendant du livre sur la condition paysanne « La vie d’un simple » d’Emile Guillaumin !
Ma mère m'a eu à quarante-sept ans. Je l'ai toujours connue comme une mère, comme une femme dont la beauté ne compte pas, mais seulement la bonté, la chaleur, la main à tartines. J'étais son treizième. Je l'ai toujours vue comme si elle avait eu soixante ans, comme toutes les vieilles femmes du village, les mères vertes et actives, sans jamais la confondre avec les grand-mères édentées, grondeuses, assises tout le long du jour avec leurs mains noueuses sur les genoux.
Dans le village on ne disait jamais d'une femme qui avait des enfants "madame" mais "la mère". Toutes les mère se ressemblaient. C'étaient des femmes à rides et à larmes. Leurs mains tannées sentaient l'ail. La mienne avait beaucoup pleuré, elle avait des lacs de larmes derrière ses lunettes, mais le reste du visage, du front à la bouche, continuait de sourire, la voix aussi.

Qu'il soit fermier, éleveur ou manœuvre, tout ça n'est rien. la raison d'être d'un homme réside dans ses aspirations et non pas dans les rôles auxquels la vie le pousse. Cette étoile signifie l'amour de l'humanité.

Je savais maintenant qu'on est sur la terre pour gagner seulement sa croûte, que la vie ne répond pas à cette attente de merveilleux qui donne aux enfants envie de grandir plus vite.

Le travail ne justifie rien. Le travail justifie le charron dans un village. Incontestablement il voit les services qu'il rend. Il justifie l'artisan, le menuisier, le plombier, l'ébéniste qui voient la tête de leur client. Il ne justifie pas le travailleur de la grande industrie qui produit pour la guerre ou pour les besoins de luxe de la classe privilégiée, qui produit une pièce en ignorant où elle va dans l'ensemble de la machine.
On peut supporter sa vie sans la justifier, mais pas seul. C'est trop pénible. Il faut une mère, une femme, des enfants, être dans des liens, cesser de réfléchir. La solitude sentimentale ne convient qu' à l'homme usé.

Après le large des champs, le large de la vie en été, j'ai du mal à comprendre le goût des civilisés, les singes, pour la possession des villas inhabitées, pour la nature ridiculement mise en plis derrière des grilles et des serrures.
La neurasthénie fleurit, l'homme est l'ennemi de l'homme.

J'admirais les terrassiers, assez fiers de leur métier pour en porter le costume en ville. De la poche de leur colletin dépassait un journal, l'Humanité le plus souvent, le Populaire, le Libertaire.
Ils habitaient la plupart en banlieue, parce qu'on s'y loge à meilleur compte qu'à Paris et qu'ils pouvaient avoir un bout de jardin, trois poireaux, deux poules, une caisse à lapins. Ils venaient de la ceinture rouge. Ils élisent des maires et des députés communistes. Ils les nomment par leur prénom. Leurs représentants sont pour eux non des chefs mais des copains. S'ils ont la bosse de l'admiration, elle s'allie au penchant à l'égalité. Je ne vois pas devant qui aurait pu baisser le regard, l'ancien marin notre délégué. Il aurait tutoyé le pape s'il l'avait rencontré. C'est une conviction chez eux que l'homme n'est jamais qu'un homme sous n'importe quel costume. Le beau parler ou les discours les éblouissent, ils ne sont pas sans reconnaissance pour la musique des paroles. Mais si l'on en tire trop vanité, si on se met au dessus d'eux, ils retrouvent leur fond. Ils savent qu'eux aussi, en allant aux écoles, auraient pu faire figure plus avantageuse. Ce ne sont pas des humiliés. Quand on leur porte mépris, ils peuvent le rendre.

En cueillant, je forçais pour être toujours éveillé, jamais inconscient. La vie est un don. Je voulais toujours être à la fête. je m'occupais à donner à mes mains le maximum d'habileté, ne faisant aucun geste sans que l'attention n'y participât.
à suivre ?...

2 commentaires:

  1. La Série noire est identifiée aux États-Unis. Il faut donc faire américain. Jean Meckert devient John Amila.
    « Je ne voulais pas m'appeler Smith ou Parker… Alors j'avais trouvé un nom de la côte ouest, enfin. Je voulais m'appeler Amilanar, parce que je crois […] qu'amilanar en espagnol, ça veut dire quelque chose comme épouvante ou épouvanté […]. Je trouvais ça très marrant, moi, de s'appeler John L'Épouvante ou un truc comme ça. Et puis en même temps, il y avait une astuce, parce que je suis vaguement anarchiste, alors ami… l'anar, ça faisait bien. On m'a dit que c'était trop long. Alors j'ai gardé John Amila »

    « J'aime la littérature et je souffre profondément de voir que c'est un monde fermé. Dans ce monde fermé, on ne peut entrer qu'en courbant l'échine. Et ça, je ne le peux pas ». Jean Meckert (Notes de carnet) - depuis un article de Nicolas Chevassus-au-Louis.

    Il aurait aussi pu écrire : "Ami l'anar, l'injustice m’écœure !"

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