mercredi 5 décembre 2018

Les coups - Jean Meckert

En ces temps de fronde, de condescendance politico-bourgeoise, de #BalanceTonPorc et autre #MeToo, je me permets d’exhumer de ma bibliothèque ce livre de Jean Meckert : Les coups. Il figure en bonne place dans mon Top 100... Une certaine cohérence dans mes lectures passées/présentes/futures…
Un écrivain quelque peu oublié (même par moi) qui deviendra un des piliers de la Série Noire sous le nom de Jean Amila.

Aux abords des années 30, Félix est un petit gars, manoeuvre de son état dans un atelier de mécanique, pas bien fute-fute, peu d’éducation, des difficultés pour s’exprimer, pour trouver ses mots…
“Bientôt l’hiver est venu, la vache, pas tellement en froidure mais en morte-saison. On se demandait toujours si Parmain la prendrait sa fameuse décision énergique de foutre la moitié du monde en chômage pendant que les voitures ne sortent pas.
On vivait des accidents. A nous les pare-chocs maladifs, les caisses défoncées, les ailes gondoleuses, les marchepieds emboutis, les capotes déchirées ! A nous le verglas et les dérapages ! Un bon point aux apprentis ! Un triple ban aux défonceurs de becs de gaz ! Une tournée générale aux chauffeurs de taxis ! Tant qu’il y avait de la case, il y avait de la vie.”
Son désarroi gonfle d’être incompris ou de mal comprendre...
“Je me trompe peut-être, mais je n’aime pas les gens qui causent. Tout comme la mode est faite pour les gens qui n’ont pas de goût, la causette c’est le paravent de ceux qui n’ont rien dans le ventre, c’est la grande recherche de l’impasse qu’on baptise infini, c’est la grande tromperie civilisée, ce qu’on aperçoit du dehors, du monté à graines, du loupé.”
Là, Félix rencontre Paulette, malheureuse et mariée…
Paulette quittera son mari pour lui…
“Nous deux, c'était tout, et puis merde pour tout le monde.”
Félix rencontrera sa belle-famille, modeste, mais qui a des velléités de petite bourgeoisie...
“À la fin, il accaparait tout, Henri, un bavard fini. Seulement il en avait vite fait le tour de ce qu’il connaissait. Il reprenait toujours d’autres mots et d’autres variantes, comme s’il était absolument indispensable de ne pas laisser une seconde sans paroles. Moi je m’emmerdais. Je lui faisais des signes discrets, à Paulette, elle ne voyait rien, elle était dans son élément. Elle faisait du charme, assise sur le bord d’un fauteuil, elle parlait aussi sans bafouillis, les phrases lui venaient, coulantes et faciles… Ça m’impressionnait.”
Une belle-famille qui se moquera de lui, de son “handicap” de ne pas savoir mettre de mot sur ses goûts, sur ses idées, sur son mal de vivre, de son problème à communiquer (comme, il me semble,  au début de “Martin Eden” de Jack London). Sa belle-famille, elle, a les bons mots, les mots justes, mais ils sonnent creux…
“Ils passaient leur vie à ne rien dire, mais bon Dieu ils le disaient bien.“
Alors, lors de conflit, Félix va cogner Paulette au bout du désespoir, il va la frapper car le dialogue ne suffit plus, il n’a plus que ça pour se faire comprendre !…
Quand le trop peu de mot ne suffit plus… quand on ne sait plus quoi dire… quand les coups remplacent le langage…
Comment en est-il arrivé à battre sa femme ? Comment est-il passé d'un amour romantique aux coups ?...
"On s'aimait, on le sentait bien, mais il y avait l'amour-propre, ce chiendent, qui faisait sa grande offensive."
Ce premier livre, publié en 1941/42, acclamé par André Gide, Raymond Queneau et Roger Martin du Gard, est sûrement son chef-d'oeuvre.
“On était assis confortablement dans les petits fauteuils rouges. Ce qui gênait c’était plutôt la chaleur, l’obscure et forte, exténuante, qui foutait la sueur au front et aux fesses. Tous en choeur au petit ciné, on macérait, on se dégraissait sur la chemise, dans des rivières de dessous de bras. Sueur, fumée, mélange scientifique, délébile, l’absolu du parfum, le plus robuste, le repousse-mites, on communiait là-dedans, frères baptistes de passage.”
Dans une langue populaire, “populiste”, qui ne manque pas de poésie, au plus près de son “héros”, en adéquation avec son sujet (comme pouvait l’être la langue dans "Des fleurs pour Algernon" de Daniel Keyes par exemple), et dans une langue, disons-le, très célinienne (voire ajarienne (Emile), mais 40 ans avant), Meckert décortique son sujet de prédilection : l’incommunicabilité entre les êtres.
“Il y avait un peu de paresse dans mon cas : je laissais tomber. Tout le drame avec Paulette ça vient peut-être de là, que je lui ai laissé croire à mon vide, que je n’ai jamais eu le courage d’affronter le ridicule de ma pensée toute nue, sans passer par les clichés aux autres…. J’ai peut-être eu tort de toujours vouloir éteindre la lumière.”
Par le truchement de Félix, Meckert dénonce la condition sociale, les relations conflictuelles au travail, l'ambition écrasée par l'absence d'ascension sociale, les bonheurs au rabais...
“– Dis, mon chéri ! T’aimes mieux lui, ou l’autre ? Et qu’est-ce que tu penses de cette petite-ci ? Et de ce grand-là ?...
Graves discussions de plain-pied, sans douleurs, sans effort. Du vrai travail sans filet. Ça aidait à vivre, au fond. C’est rien que ça, la vie, des riens dont se fait un monde.”
Il fustige également la petit bourgeoisie et les faux semblants...
“– Concessions au public... Italianismes... Vulgarités..., me renseignait Paulette, très sûre d'elle.
 – Pardon, pardon ! répliquait Auguste qui admirait solidement... Musique populaire !... Inspiration mélodique !... Succès certain !... Trois mille représentations !...
On sentait nettement qu'ils avaient lu des notices différentes. C'étaient leurs opinions ! Ils se seraient fait hacher sur place pour défendre" leurs" idées !”
Bref, ce n'est en aucun cas un roman Harlequin ! ;-)

Jean Meckert, Les coups, Editions Gallimard/Folio.
Jean Meckert (c)R.Parry

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