mardi 9 juillet 2019

Poésie Fortuite #1

Sur une idée originale du génial Roland Moreno, inventeur de la carte à puce et véritable Géo Trouvetou, “Le Radoteur” recycle la théorie de l’information chère à Shannon, pour générer des nouveaux mots à l’aide d’un "vivier" de départ...


Extrait du Livre "Théorie du Bordel Ambiant"  (c)Roland Moreno :

Principe de fonctionnement

Le célèbre théoricien Claude Shannon travailla sur une Théorie des sources d’informations. Théorie autonome et complète des systèmes de transmission et de traitement du signal qui détermine combien il faut prélever d’échantillons dans un signal périodique, quel qu’il soit, pour garantir une certaine bande passante. Il trouva quelques règles établissant un degré minimal de cohérence entre sources d’informations et données.
Voici à travers un exemple, l’application de cette loi à la linguistique.

SOIENT CINQUANTE MOTS D’ANGLAIS PRIS AU HASARD, SHANNON POSTULE L’EXISTENCE D’UNE LOI DE COMPOSITION DE CE SOUS-ENSEMBLE DE LA LANGUE, NON NEUTRE, ENTIÈREMENT DÉTERMINÉ, ET VA S’ATTACHER À DEMONTRER LA RIGUEUR DE CETTE LOI.

Commençons par un espace, précédant un mot choisi au hasard, (PRIS par exemple) de la suite de mots à analyser.
1) Avançons d’une position pour lire le P que l’on mémorise.
2) Parcourons maintenant en boucle, le reste de la phrase, lettre par lettre, pour trouver la
première position d’une lettre identique. (Nous repérons P de POSTULE)
3) Si une lettre correspondante est trouvée, cette lettre est le premier caractère émis par la source.
Réitération de la phase 1 (O de postule)
Répétition de la phase 2 (pour trouver O de LOI)
Répétition de la phase 3
Si on répète ce cycle, on trouve successivement POITRENNE le cycle s’arrête alors par la rencontre d’un caractère de fin de mot (espace ou tout signe de ponctuation).
Cette suite de lettres ressemble d’une certaine façon au style général de la chaîne de départ bien que POITRENNE n’existe probablement pas.

Roland MORENO utilisa cet algorithme pendant de nombreuses années pour vendre à des cabinets
publicitaires des noms de parfums, de shampoing ou autre. À partir d’une série de mots qualifiant les propriétés que doit évoquer le nom du produit, il faisait tourner son programme sur son Apple II qui alignait inlassablement des centaines de mots nouveaux.

Il travailla à l’amélioration du système et décrivit son travail dans « Théorie du Bordel Ambiant »

"L’explication tient au caractère probable, ou improbable, de la présence de tel ou tel doublet :
PO par exemple apparaît deux fois (postule composition) ;
OI, de son côté, apparaît trois fois dans la source ;
Quand à IT il n’apparaît qu’une fois, mais une fois quand même ;
Au contraire, PA n'apparaît pas une seule fois, et la probabilité est donc nulle de le voir produit par la source.
Au total, chaque lettre émise par la source apparaît nécessairement dans une position conforme à la
distribution caractérisant la source : le 0 vient après un P, mais avant un i, soit finalement :
PO (2)... OI (2) ... IT (1)... TR (2)... RE (3)... EN (5)... NE (2).
Les couples émis par la source sont donc en toute certitude présents dans la chaîne initiale, dans cet ordre exact, et ce au moins une fois. Ce trait caractérise également les débuts et fins de mots, aucune série ne pourra comprendre un M comme finale, puisque la source ne comprend aucun mot se terminant par m, Pour exactement la même raison, aucune série ne pourra avoir J comme initiale.
(...)
Je continuai finalement de façon plus ou moins hobbyiste, jusqu’à l'amélioration du système, que je
commençai alors à désigner sous le nom de Radoteur (en raison de son infernale propension à se répéter lui-même).
(...)
Le Radoteur tel qu'il se présente aujourd'hui va beaucoup plus loin que la rotation toute simplette de l'anneau originel. Un des équipements les moins créatifs dont je l'ai depuis rehaussé est un filtre anti-radotage, lui interdisant de faire semblant d'avoir trouvé quelque chose, lorsque en réalité le mot produit a déjà été créé au cours de la même session (ou, bien même existe depuis le tout-tout début, tel quel, dans la liste-source). Dès que le système produit un mot, il le conserve en mémoire et vérifie, avant toute nouvelle proclamation, qu'il n'y a identité avec aucun mot déjà enregistré. (Sa mémoire est donc composée de deux sections : liste-source + fichier des mots fabriqués.)
(...)
Le seuil, de son côté, institue la notion de cadrage variable. Là où n'étaient considérés à l'origine que des doublets, sont désormais prises en compte une infinité de combinaisons possibles. Non seulement une lettre en avant-une lettre en arrière (1.1), mais aussi deux en avant, une en arrière (2.1), et ainsi de suite : 3.1, 4.1, 2.2, 3.2, etc.
La fonction 1.1 est donc remplacée par x.y, c'est-à-dire que des constantes deviennent des variables.
Ce mécanisme est ici, tout de suite, très séduisant : les mots deviennent beaux ! Et encore plus ressemblants qu'avant !
L’effets de la variation de la valeur du seuil est le suivant : plus le cadrage est « large »
(somme X + Y), plus le Radoteur a du mal à produire des mots nouveaux, puisque ceux-ci comprendront des suites de lettres de plus en plus longues (3 + 2 = 5 lettres, par exemple) obligatoirement déjà présentes, par principe, dans la liste-source.
Mais, en contrepartie de la capacité de production ainsi amoindrie, le Radoteur fournit des mots de plus en plus fidèles à la liste-source (véritable langue d'origine) et donc bien plus facilement prononçables. (...)"

Roland Moreno
Source

Ici, le principe a été étendu à la phrase, et après quelques heures de programmation, et avec l’aide des chaînes de Markov, un "Radoteur Markovien" en quelques sortes, et en se limitant au cadrage : 2 mots pour en donner 1 pertinent…
Reste un boulot de préparation des différentes sources, de tri, de "mise en forme" minimaliste...
Et reste aux lecteurs à trouver le sens...

Mixe de deux sources : Le Spleen de Paris & Les fleurs du mal  (c) Baudelaire.
Premiers essais... (reste quelques coups de tournevis à mettre). L'avantage c'est que l'on peut en générer à l'infini (et au-délà) !!!

Du temps que Lesbos se lamente
Et malgré bien des chocs funèbres
Le bois retentissant sur le versant de ses aides.
Car je ne puis trouver parmi ces pâles roses
Une fleur moisie
Moi je pensai tout de suite
Il faut être toujours ivre!
Loin des pioches et des ifs flamboyants
Dans les doigts lutins perles de la femme
Au corps divin promettant
Le bonheur est marié au silence
Où la mélancolie à midi
Quand tout frais il se lève
Comme une horrible et chère relique.
Si tu veux chercher un fiancé stupide
Cours offrir un cœur qui regorge de vieux airs inconnus et pauvres
Que vous leur avez donné
Ayant appris à mêler
Le salpêtre et le couteau.
Prière gloire et louage à toi satan
Dans les ruisseaux et les extases
Pour dire les plus indolents et les princes
Je crois toujours que cet être m’inspirait
Me débarrasser de cet incomparable privilège
Qu’il peut à sa pâleur habituelle
Comme la jeunesse
Sous la coupole spleenétique du ciel
Et les vastes éclairs de son cœur à l’ouvrage
L’art est long.
Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes
Des femmes dont l’œil par sa misère
Et ajouter les trivialités de sa cage
Et de vins de parfums de liqueurs qui feraient délirer les cerveaux
Et les agiter avec ma volonté de tirer un souris de ce flot d’anathèmes
Qui monte tous les hôpitaux
Et dans la fange et du recueillement
Mais je les entendis rire
Et chuchoter entre eux
Où des princesses sautaient et cabriolaient sous le personnage de chacun.
Plongez au plus noir de la beauce
Je crois toujours que cet être doué de tant de plaisir plus doux
Au détour d’un sentier
Une charogne infâme sur un lit hasardeux.
Lion des peuples furieux soyez béni
Mon dieu qui donnez la souffrance
Comme un damné descendant sans lampe
Au bord de votre âme mondaine
Des sons d’orgue mourant
Et de noirs bataillons de larves
Qui coulaient comme un départ.
Plus belle que vénus se dressant sur le front
N’ont qu’un espoir étrange et fatal dégoûtant Phénix fils
Et le désir balance
Mais on voit un trône splendide
Le poète se dit rêveur devant ces voyageurs
Pour lesquels est ouvert
L’empire familier des ténèbres futures.
Les houles en roulant les images des cieux spirituels
L’inaccessible azur pour l’homme terrassé
Qui rêve encore et ne daignait rien voir.
Presque tous nos malheurs nous viennent
Et dont le flanc toujours vierge et drapé de guenilles
Sous l’éternel labeur
N’a jamais de fin.
Et ils s’enfuiront
Comme font les offusqués
Fiers mignons
Malgré l’art des poudres et du jour.
Maudites soient vos cibles et vos frimas
Et saurai-je tirer de l’implacable hiver
Des plaisirs clandestins
Je vois l’heure
Il est trop tard.
Je m’avance à l’attaque
Et je m’étais confiné dans ma froide épouvante
Et quand je contemple d’en haut le globe en sa verve puissante
Concevait chaque jour en bénissant sa flèche.
Ange plein de taches de rousseur à sa bouche
Ils mêlent de la joie et de bleu mystique
Nous échangerons un éclair
Puis la vapeur se fit plus bleue et froide de décembre
Je la reconnaissais pour l’avoir caressée une fois sa vendange
Vivre est un art
Et celui-là me dit
Voilà qui est joli comme une toile
Vos souvenirs avec leurs cadres d’horizons.
Je ne puis malgré tout mon être
Colère haine frissons horreur labeur dur
Et cupide esclave de l’esclave
Et ruisseau dans l’égout
Le bourreau qui jouit
Le martyr qui sanglote
La fête de la plus douce
La plus belle eau
Sonnets de maître Belleau
Par tes galants mis aux fers
Sans cesse il faut qu’il désespère d’avoir sa croix et l’esprit
Le Welche dit
Tout ça pour moi c’est du prâcrit
Je ne puis mégère libertine pour briser ton courage.
Parfois il parle et dit
Je t’aime
Quand ton cœur dans l’horreur
Se noie.
Ces jeux
Ces cliquetis du fer
Sont les corbillards de mes amours décomposés. 
Ce gouffre
C’est l’enfer de ton regard
D’une vapeur couvert ton œil mystérieux
Est-il bleu gris ou vert ?
Disait-elle aussitôt
Est-ce que par hasard la joie du riche au fond de l’œil du connaisseur ?
Devine une peinture idéale
Sous un soleil automnal
Ô ma chère vous me rendez l’azur du ciel dont j’étais enveloppé
Le souvenir enivrant qui voltige dans l’air doux du matin
Onduleuse embaumée.

DJ Baudelaire 2.0  (c) Le Radoteur Markovien

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