samedi 9 novembre 2019

Ce qui menace ton érotique publicité...

Gaston Criel
"CE MATIN, Jacqueline m’a parlé doucement à l’oreille. Ça m’a donné un coup au coeur.
- Ah ça, alors! Tu n’aurais pas pu le dire plus tôt.
- T’inquiéter inutilement! J’ai essayé de me débrouiller par tous les moyens. Rien à  faire. Alors, maintenant, tu sais, je crois qu’il n’y a plus d’espoir!
- Nous voilà dans de beaux draps! Tu te rends compte! On a déjà du mal à payer le blanchisseur! Je n’ai pourtant pas envie de faire de l’esprit!
(...)
Je n’aime pas les femmes enceintes, les ventres engrossés, je trouve ça écoeurant… Et c’est moi qui l’ai fait! Demain dans le métro, il me faudra demander sa place à l’homme qui lit son journal. Pensera-t-il ce que je pense : “Vous n’êtes pas venu me chercher pour jouir! Vous n’auriez pas cédé votre place à ce moment-là! Si elle est grosse, je n’y suis pour rien! Et vous êtes le salaud qui l’a arrondie! Joli travail! Surveillez-vous, idiot!” Mais l’homme ne dira rien…
Tout ça pour cinq minutes d’oubli! Pour une petite jouissance égoïste. Quelle gloire, n’est-ce pas, de faire un enfant!
C’est si intelligent!
(...) Je commence à m’en apercevoir lorsque Jacqueline m’amène à l’amour. Les premières fois, l’idée de prendre une femme enceinte m’amusait. La curiosité passée, ça m’écoeure. Jacqueline le sait. Elle redouble d’astuces. Je suis lâche. J’y vais!
(...) Le petit paquet de chair repose sous une moustiquaire. Sa tête ratatinée ressemble à un visage de noyé.
(...) La petite chose se met à hurler.
L’odeur de sanie, le cri des gosiers nouveau-nés me noient de dégoût. Quelle connerie! Un gosse, une fille que je lançais pour une vie! C’est long, une vie!
  A côté, on se penche amoureusement sur les berceaux. Les cinq minutes de plaisir d’une cigarette, ça se jette et on n’en parle plus… Mais un gosse, une fille! Elle aura des talons hauts, des bas nylon et un vagin pour faire l’amour, pour faire un gosse!
  Les heureux papas sont là, devant l’hypertrophie du sexe… (...) Un idiot s’est laissé aller dans une fille qui avait la flemme de se lever… Un mauvais coup et le petit paquet de chair tirera sa vie d'erreur en omission…(...) Je lui en veux d’avoir pondu cet oeuf de tripes et de cris, cette petite fonction qui commence à prendre rang dans le monde de la déglutition.
(...) Encore un de gagné pour que vivent la France et la Sécurité sociale!
(...) je tordrais ces cous, ces bras, ces jambes, ces bouches, ces sexes qui dans vingt ans mélangeront leur humidité pour se prolonger. Alors qu’il en est temps encore, il faudrait leur épargner la Cinquième République, la guerre, la police…
(...) Je contemple cette vieillesse en herbe, regrettant que la mort ne la fauche avant que de croître. Étouffée dans l’oeuf, la vie reste en son bienfaisant néant.
  J’imagine ; le cordon ombilical s’entortillant autour du cou, étouffant par son lien vital le cri de la venue au monde… La petit Geneviève vomit un lait caillé par la bouche tordue de sa pomme ridée. Geneviève a la colique. De rouge, elle passe au violacé. Les petits poings se ferment et maudissent. Je suis le salaud!
(...) Pendant que Jacqueline me raconte ses histoires, une pin-up est entrée en tournant de la croupe. Des fesses bondissantes sous l’azur de la robe. Le bel animal joue de la crinière et croise haut les pattes au bord du lit d’une autre blonde à la triste figure. La femelle se penche sur l’avenir… Adieu taille de guêpe et mignons attraits… Mamelles pendantes et ventre ballonné, voilà ce qui menace ton érotique publicité. (...)"

Gaston Criel, L’Os quotidien, Les Editions du Sonneur.💖

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