dimanche 19 mai 2019

J'aurai eu une existence d'épicier...

23 décembre 1928.
" Supposons que je vive encore une dizaine d'années ? D'ici là, j'aurai encore travaillé. Je m'en irai juste au moment que je pourrais jouir de mon travail. Car enfin, jusqu'ici je n'en ai pas joui, puisque ce que j'ai pu gagner comme écrivain n'a servi qu'à assurer mon existence la plus ordinaire. Avoir du loisir, voyager, me payer des fantaisies, si l'argent pour cela me vient un jour, il me viendra trop tard. Dire que si je n'avais pas une pareille ména­gerie, je pourrais aujourd'hui être libre, faire ce que je voudrais, me déplacer à mon gré, ce que je gagne avec ma littérature pou­vant presque y suffire ? Enfin, ce qui est fait, et que j'ai fait moi-même, est fait. Il n'y a pas à y revenir. Moi, l'aristocrate, le réfrac­taire par excellence, j'aurai eu une existence d'épicier. "

Paul Léautaud, Journal littéraire, Mercure de France.

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