Octave Mirbeau |
“ Dire qu’il y a des gens qui ne pensent qu’à ça, qui ne font que ça!… Des gens pour qui, toute la vie, c’est cette minute de félicité trompeuse et ridicule!… Des poètes qui prennent cette croupe fétide pour l’étoile magique!… Dire qu’on ne travaille, qu’on ne vole, qu’on ne tue, que pour ça!… Sais-tu pourquoi je n’ai jamais eu d’ami, d’autre ami que toi?… C’est parce que tous les jeunes gens que j’aurais pu aimer m’accablaient du récit de leurs prouesses érotiques!… ”
“ Mais, nom d’un chien! il y a autre chose, pourtant, que de vautrer sa chair sur la chair d’une femelle impure et pâmée!… Et il semblait prendre à témoin la nuit, le ciel scintillant, le mystère des ombres dans l’intervalle des clartés qui frissonnaient, qui battaient sur les maisons comme de minces écharpes soulevées par une brise légère. — Car enfin, as-tu rigolé, toi, voyons!… As-tu senti dans tes reins la secousse merveilleuse qui vous ouvre la porte du paradis?… Quelle blague! Quelle sale blague!… Et, pourtant, c’est amusant, ces maisons-là… On ne devrait y venir qu’en peintre, et non en imbécile rigoleur!… Ce qui gâte l’étrangeté puissante, la splendeur macabre de ce spectacle, c’est l’acte idiot, auquel on se croit obligé de sacrifier!… Ce bariolage de tons, ces fouillis de la misère crue, ces lambeaux de chair et de transparentes étoffes qui se répercutent dans les glaces!… Et ce qu’on entrevoit par les portes ouvertes, dans le rouge sombre des escaliers, un torse nu qui passe, une cuisse mate, dans un mouvement de fuite, coupé par la ligne d’une portière, des ébouriffements de chevelures rouges, et l’apparition de ces visages plâtreux, maquillés comme les morts d’Égypte!… Et rendre la tristesse, l’épouvantable et rutilante tristesse de cet encan!… l’angoisse qui vous prend à la vue de cette viande parée, lavée, décorée de fleurs fausses, comme à l’étal d’une boucherie!… C’est beau, oui, c’est beau!… Mais tout de même, j’aime mieux les fleurs, les brumes sur les coteaux, tout ce rêve de pureté, d’atmosphère colorée et limpide, qui voile d’émerveillantes féeries l’âpre réalité de la vie… Voyons, toi, est-ce que ça t’amuse, les femmes?… Est-ce que tu vas, comme les autres, te noyer dans les fleurs blanches de l’amour? Pourquoi ne dis-tu rien? ”
Octave Mirbeau, Dans le ciel, dans “L'Écho de Paris” en 1892-1893.
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