« Nous ne craignons rien tant que le cri douloureux de l’oiseau-Cohé, celui que les Blancs-France nomment engoulevent.
Il peuple de son spectre la prophétie des nuits.
Grand-mère, Man Yise, qui peigne sa natte de mulâtresse jusqu’à la cambrure de ses reins, devient soudainement inquiète à la brune du soir. Elle s’assoit sur le pas de la porte, scrutant le faîte des arbres vénérables – zamanas, flamboyants, mahoganys – qui ceinturent notre demeure. De temps en temps, elle lève les yeux au ciel et murmure ce que tu prends pour une prière chrétienne et que, bien plus tard, tu apprends être une terrible conjuration de négresse-Congo.
Si nous sommes au beau mitan de la saison d’hivernage, son angoisse est forcément brève mais quand le carême instaure un jour qu’on aurait juré infinissable, elle nous couche, nous la marmaille, aussitôt que les muletiers ont amarré leurs montures.
L’oiseau-Cohé annonce la mort. Chez nous, ce travail n’est point dévolu aux chiens car, pour autant que tu t’en souviennes, ils jappent encore par la queue.
L’oiseau-Cohé possède des yeux de marcouchat : il transperce la noireté de la nuit. Il ne tisse pas de nid et pond dans le giron de la terre dont il se nourrit. Ses plumes d’obsidienne sont tiquetées de sang. Sa bouche qu’il ne ferme jamais est un sexe de femme, une grande coucoune, qui peut vous dévorer.
Au quartier Macédoine, on nous encourage à le débusquer le jour pour l’abattre à coups d’arbalète mais nos puînés savent fort bien qu’il ne sort point dans la lumière. Le jour, il sommeille dans le ventre de la lune.
Grand-père, qui n’est pas avare de rigoladeries, nous lance :
«Hon ! Cet oiseau-là n’existe que dans la tête-calebasse des femmes. Moi-même, je ne l’ai jamais vu ni entendu alors, mes bougres, si ça vous arrive, prévenez-moi tout de suite et je me fais abbé. Ha-ha-ha !»
Il feint d’oublier que ce qu’on ignore est plus grand que soi et que l’on peut attendre l’oiseau-Cohé toute la longueur de sa vie. […]»
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