[La fonction du livre est] de nous secouer et de nous éveiller, et de nous coller de force la face contre la réalité de l’homme et la réalité du monde. Hyvernaud.
Si j'étais riche, je sais bien ce que je ferais : j'achèterais la fôret de Compiègne, je ferais bâtir un mur autour, et alors je pourrais enfin pisser tranquille. Rudigoz.
On devrait prendre l’habitude de promener les nouveau-nés dans les allées des cimetières pour les habituer très tôt à leur véritable avenir. Sternberg.
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Les chemins qu'empruntent les textes avant d'arriver entre les mains des lecteurs sont parfois mystérieux.
RépondreSupprimerPour certains livres, pas toujours impérissables, l'affaire semble relever d'une simple formalité : aussitôt soumis, aussitôt publiés - plus vite encore oubliés. Pour d'autres, en revanche, la route est tortueuse. C'est ainsi qu'il aura fallu soixante-six ans au formidable manuscrit de César Fauxbras pour devenir enfin "sortable". Soit quarante-trois ans après la mort de son auteur et bien après que des archives de la seconde guerre mondiale, sujet de La Débâcle (Allia, 160 p.), eurent été déclassifiées. Mais, au fait, quelle bombe portait-il entre ses pages, ce petit livre ? Des secrets d'Etat ? Pas du tout : seulement des paroles de soldats. Ni des gradés ni des importants, mais de simples troufions coincés, en mai 1940, dans la fameuse poche de Dunkerque.
De son vrai nom Gaston Gabriel Alcide Sterckeman, Fauxbras fit partie de ces unités encerclées puis emprisonnées par la Wehrmacht. A vrai dire, cet homme né en 1899 aurait dû se trouver ailleurs, n'était son incorrigible manie d'agiter des idées subversives. Pour le punir de ses écrits antimilitaristes, la marine nationale, dont il faisait partie, l'avait catapulté comme sergent dans le 511e bataillon régional de Dunkerque. Qu'à cela ne tienne. Cet homme, qui avait déjà écrit avant guerre (des romans de critique sociale, mais aussi des articles dans différents journaux de gauche), se transforma très vite en "magnétophone", comme il l'explique dans un avant-propos. Au jour le jour, il "enregistra" sur des carnets les propos que tenaient autour de lui ses camarades. Des paroles, donc, mais pas n'importe lesquelles : pleines de truculence, d'une incroyable drôlerie et, surtout, d'une redoutable force de subversion.
Car le soldat français, tel qu'il émerge de ce recueil, n'est pas un héros. Il ne ressemble en tout cas guère à l'image que donne de lui l'historiographie récente, laquelle tend à montrer qu'il s'est plutôt vaillamment comporté. Chez Fauxbras, il est peu patriote et certainement pas homme à "mourir pour Dantzig". Pire que cela : roublard, enclin à toutes les combines pour rentrer chez lui, bien plus soucieux de défendre son village que n'importe quel port de la Baltique ou de la mer du Nord et, pour couronner le tout, près de ses sous. La guerre, il en a déjà connu une et aussi la promesse que ce serait la "der des der".
Dès 1945, César Fauxbras essuya des refus d'éditeurs, notamment de la part de Flammarion. Nouvelle tentative en 1965, nouvel échec. Sur une enveloppe retrouvée par son petit-fils figurent ces mots : "Ces messieurs ne pensent pas que la vérité sur mai 40 soit bonne à dire en 1965. Attendre 1980 (ou 2000 ?)"
Les maisons concernées jugèrent-elles que ce livre écornait par trop l'image de la France ? Ou se posèrent-elles la question de son authenticité ? Gérard Berréby, patron des éditions Allia, estime peu probable que ces propos aient été inventés, notamment parce que leur ton diffère nettement des autres écrits de Gaston Sterckeman. Mais après tout, qu'importe ! Au cas où ce texte serait fictif, il n'en resterait pas moins une petite merveille - non d'histoire, cette fois, mais de littérature.
Raphaëlle Rérolle
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César du vrai Bras d'Honneur
Bravo Alcide !
merci pour cet article très juste de LeMonde.fr ! :)
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